Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/362

Cette page a été validée par deux contributeurs.
329
POSSESSIONS.

Le conseil était ébloui par tant de belles paroles, tant de science merveilleuse ; car la perspicacité des jeunes possédées leur prêtait le don d’interpréter les langues. Elles répondaient, sans hésitation, à certaines demandes qui leur étaient faites en grec, en latin, voire même en hébreu. La persuasion du miracle était entrée dans tous les esprits ; aussi les exorcismes se continuaient-ils avec ardeur. Ils donnaient lieu aux scènes les plus étranges, et c’est un témoignage en faveur de la foi encore robuste de cette époque, que le scandale de ce spectacle impur et sacrilège n’ait pas rejailli sur la religion qui semblait l’autoriser, et sur les prêtres qui le provoquaient.

Imaginez, par exemple, la gravité et la solennité d’une messe à laquelle assistaient les énergumènes qu’on se préparait à faire communier ; car on n’avait pas jugé à propos de les priver des sacrements, même lorsqu’elles étaient dans leurs moments de fureur. L’une faisait des contorsions à se rompre le corps, à se paralyser les membres ; une autre demeurait à plat contre la terre dans un état d’immobilité complète ; une troisième exécutait des bonds prodigieux pour s’échapper des mains de ses surveillantes ; celle-ci causait familièrement à haute voix avec son démon, ou le faisait passer chez une de ses compagnes ; toutes les autres riaient, juraient, chantaient, blasphémaient, chacune suivant le caprice du moment. La messe se continuait accompagnée par cette bruyante cacophonie, jusqu’au moment où les possédées participaient, de gré ou de force, au corps du Sauveur.

Nous avons vu que les exorcismes furent couronnés d’un complet succès : les démons, malgré la violence de leurs protestations, s’apaisèrent peu à peu, et regagnèrent sournoisement les portes de l’enfer. Le rusé Putiphar, qui fut forcé le premier d’abandonner la sœur Marie du Saint-Sacrement, commit encore mille insolences au moment de son départ ; mais il fut contraint, à son grand dépit, de laisser, sur le corps de cette religieuse, une marque visible des grâces qu’elle avait reçues. C’était une admirable inscription portant ces mots :