Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/355

Cette page a été validée par deux contributeurs.
322
CHAPITRE XVI.

d’avoir présenté à l’une des religieuses une écorce de citron qui avait été posée sur le dos du Bouc, pendant une nuit du sabbat. Cela fut constaté par le témoignage de la religieuse qui avait refusé l’écorce maudite, laquelle devait être, à n’en pas douter, un charme d’un effet très pernicieux. Aux premiers mots de l’accusation inouïe dont elle était l’objet, Madeleine demeura interdite, éperdue, stupide ; elle ne sut proférer un seul mot pour sa défense. C’était un premier triomphe pour la bande de ces démons fourbes et malicieux. On renouvela plusieurs fois de semblables confrontations ; chacune d’elles amenait, sur les prétendus crimes de Madeleine, des découvertes plus prodigieusement absurdes. Madeleine essaya vainement de répliquer par quelques dénégations ; l’audace de ses accusateurs, la crédulité de ses juges, la déconcertèrent aussitôt. L’accord qui semblait exister dans tous les esprits qui avaient autorité sur le sien, pour admettre des inventions extravagantes, débitées avec une astucieuse emphase, troubla tellement sa pauvre tête égarée, que toute intelligence, toute conscience de la vérité s’éteignit en elle. « Je ne me souviens pas entièrement des choses dont on m’accuse ; mais je proteste que je suis prête à confesser mes mauvaises actions, à mesure que ce démon, dit-elle en désignant Léviathan, son principal accusateur, me les remettra en mémoire. » Peut-être espérait-elle que ces faux aveux lui obtiendraient l’indulgence de ses juges. Puis, elle essaie de donner le change à l’acharnement des accusations qui la poursuivent ; elle acquiesce à toutes les confessions qu’on lui suggère, mais elle rejette une partie de ses crimes sur son ancien bienfaiteur, Mathurin Picard. C’est lui, dit-elle, qui l’a initiée aux horribles secrets de la magie, lui qui l’a instruite à composer les charmes et les maléfices dont l’influence devait pervertir le monastère ; lui qui lui a appris à prononcer des blasphèmes, à commettre des sacrilèges, à souiller la chasteté, à renoncer à Dieu, à contracter alliance avec les diables, à profaner les choses saintes dans des emplois honteux, enfin, à se réjouir