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POSSESSIONS.

qui les faisait fléchir sur elles-mêmes au point qu’elles ne pouvaient faire trois pas sans tomber. Des accidents extraordinaires troublaient le sommeil des sœurs : c’étaient des cris furieux, des hurlements effroyables qui retentissaient dans les airs, des voix d’hommes qu’on entendait parler la nuit dans les dortoirs. Une fois, entr’autres, un sorcier descendit par un tuyau de cheminée dans une cellule ; une sœur, le prenant pour un fantôme, se jeta sur lui, mais elle fut bientôt obligée de lâcher sa prise, car le sorcier l’enlevait hors du couvent, en reprenant son vol par la cheminée. Deux autres religieuses, qui couchaient dans la cellule où se passait cette scène, entendirent un colloque animé ; elles interrogèrent leur compagne, qui leur fit part du danger auquel elle venait d’être exposée, et, comme témoignage du fait, leur montra ses mains encore enduites de la graisse dont le sorcier s’était frotté le corps. Cette graisse était noire, tirant sur le rouge ; elle exhalait une très mauvaise odeur ; on l’essuya avec un linge blanc que l’on eut grand soin de jeter au feu. Les prodiges augmentaient en proportion de la crédulité avec laquelle ils étaient accueillis. Les religieuses obsédées étaient-elles en prière dans l’église, on voyait les règles, les bréviaires, les diurnaux s’échapper de leurs mains et voler dans le chœur, sans qu’elles eussent fait aucun mouvement pour lancer ces objets. Quelquefois aussi, les sandales ou soques de ces pauvres filles se trouvaient tout-à-coup attachées à l’extrémité de leur voile, sans que personne y eût touché.

Les choses étaient en cet état, c’est-à-dire que les signes évidents d’une possession commençaient à se révéler aux yeux expérimentés, lorsque, vu l’urgence de la situation, Monseigneur de Péricard jugea à propos d’envoyer, à titre de guide et de consolateur spirituel, au désolé monastère, le père Esprit de Bosroger, provincial des révérends pères capucins de la province de Normandie. On sait qu’un évènement extraordinaire ne se développe jamais complètement que sous l’influence de certains caractères propres à le mettre en jeu. Or, dans le cas