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CHAPITRE XV.

au port, les matelots ont coutume d’entonner le Te Deum. C’est la seule circonstance dans laquelle les pêcheurs dieppois chantent cette hymne en mer.

Ces pêcheurs se défendent aussi de parler, sur leur barque, de plusieurs choses, telles que des prêtres, peut-être à cause de leur réputation de sorcellerie, et des chats, sans doute parce que le diable emprunte souvent la forme de cet animal. Ils s’interdisent le jeu de cartes, comme pouvant leur porter malheur.

Lorsqu’au milieu d’une violente tempête, ces mêmes pêcheurs font vœu de se rendre, pieds nus et en chemise, à quelque lieu célèbre de pèlerinage, par l’effet de cette pieuse promesse, la manœuvre se trouve accélérée aussitôt d’une manière prodigieuse. Alors l’équipage de s’écrier : Le navire est doublé ! voulant faire entendre par là que des êtres surnaturels partagent leurs efforts, et vont en assurer le succès. Dans cette occasion, comme en beaucoup d’autres, la foi n’est-elle pas le divin levier de la faiblesse humaine ?

Avant la révolution, il régnait cette croyance, parmi le peuple, que les prêtres pouvaient célébrer, avec un cérémonial particulier, une Messe du Saint-Esprit, dont l’efficacité était si miraculeuse, qu’elle ne rencontrait jamais d’obstacle dans la volonté divine : Dieu était contraint d’accorder tout ce qu’on lui demandait par cette intercession, quelle que fût l’exigence d’un vœu téméraire. Moins irréfléchie, cette croyance eût constitué l’intention d’un sacrilège. Il n’en était pourtant pas ainsi ; c’était souvent, au contraire, avec de véritables sentiments de piété que l’on réclamait la Messe du Saint-Esprit, et quand on était en proie à quelques-unes de ces crises affreuses de la vie qui semblent n’avoir d’autre issue possible qu’un irrémédiable malheur. Les prêtres séculiers refusaient presque toujours de dire la Messe du Saint-Esprit ; mais les moines, et surtout les pères capucins, étaient réputés pour y prêter plus complaisamment leur ministère ; c’est-à-dire que ceux-ci se faisaient moins de scru-