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SORCIERS, SORTILÈGES.

ayant ouvert un livre qui se trouvait dans la chambre de son maître, se prit, par un mouvement de curiosité machinale, à en lire quelques passages au hasard. À peine avait-il prononcé je ne sais quelle formule sacramentelle, que le diable se présenta devant lui, non point sous un déguisement de circonstance, propre à donner le change à l’effroi du conjurateur, mais avec la figure et les attributs horribles qui caractérisent l’éternel bourreau des damnés. Le pauvre domestique, rempli d’épouvante, tenta de s’enfuir. Vain effort, le diable l’avait déjà saisi de sa griffe acérée et nerveuse. En ce moment critique, le curé rentra, fort à propos, dans sa chambre : il se contenta de dire, d’un ton très paisible, quelques mots au diable ; celui-ci, sans se le faire répéter deux fois, posa dédaigneusement le serviteur à terre, comme une proie dont il se souciait à peine, et disparut à petit bruit[1].

La lecture imprudente du grimoire a occasionné plusieurs fois des catastrophes semblables. On parle même d’enlèvements qui ont duré plusieurs jours, et quelquefois des années entières.

Un brave ménétrier, nommé Delorier, dont le souvenir est demeuré célèbre au village de Mont-Merey, commune d’Athis, fut enlevé en enfer, où il resta trois jours durant ; il y a de cela un certain nombre d’années.

Notre ménétrier n’avait point à se reprocher la lecture imprudente du grimoire : tous les livres étaient fort innocents pour lui, la science du bonhomme se bornant à jouer passablement, de mémoire, sur son violon, quelque ronde du pays, ou quelque menuet de haut lieu, travesti à la villageoise. Cependant, un jour qu’il cheminait, à travers champs, tout en exerçant son archet, comme c’était sa coutume, il fit la rencontre d’un Seigneur, qui, après avoir pris plaisir à l’écouter, lui offrit de venir chez lui, un jour prochain, jouer du violon, dans une fête qu’il se préparait à donner. La proposition fut acceptée ; l’étranger, cependant, n’indiqua

  1. Pluquet, Contes populaires de l’arrond. de Bayeux.