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SORCIERS, SORTILÈGES.

éviter une si terrible fin, les contractants s’efforcent, lorsqu’est venue l’heure de la peur et du repentir, de transmettre leur pacte à une autre personne ; car Satan ne se relâche jamais de son droit de possession, que sous condition d’échange. Mais, s’il est vrai qu’il se donne tant de peine pour glaner quelques âmes chétives et abandonnées, tandis qu’un si grand nombre d’autres se dévouent à lui insoucieusement, au milieu de toutes les pompes mondaines, il faut avouer qu’il est bien déchu de son antique orgueil, et qu’il ne ressemble pas mal à ces luxueux thésauriseurs de nos jours, qui comptent des millions d’une main, et recueillent des centimes de l’autre.

On ne dit point que les sorciers aillent encore au sabbat, mais on se souvient du moins de la manière dont ils s’y transportaient aux époques où leurs artifices avaient toute puissance. Le tuyau de la cheminée était leur route ordinaire, et le sorcier, s’étant placé nu sur le faite, s’écriait : « Pied sur feuilles. — Pé-su-fielio », comme on dit dans le midi de la France. Cette invocation mystérieuse avait pour but de suppléer au manche à balai, et de le rendre inutile, car elle donnait au sorcier la faculté de voler en l’air jusqu’au lieu du sabbat. N’oublions pas d’ajouter, cependant, qu’il fallait que le sorcier prît d’abord la précaution indispensable de s’oindre le corps avec un certain onguent, dont le principal ingrédient était la graisse d’un enfant mort sans baptême. Il est arrivé quelquefois que de pauvres sorciers, à qui la graisse venait à manquer, ont interrompu tout-à-coup leur voyage aérien, en se laissant tomber comme un ballon qui crève. Jugez alors s’ils faisaient triste figure, loin de tout secours, en pays inconnu, et obligés de s’en remettre à la discrétion du premier passant qu’ils rencontraient sur leur chemin[1].

Il existe différents préservatifs, dont l’usage peut être consciencieusement et religieusement admis pour écarter les sor-

  1. P. Le Fillastre, Superst. du canton de Briquebec ; (Annuaire de la Manche, 1832, p. 208.)