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CHAPITRE XV.

pliquer à un tel crime une punition légale, se laisse fléchir et pardonne, à condition que son beurre ne suivra plus le Cordeau[1].

Nous avons vu que, pour leurs conjurations ou incantations, les sorciers se servaient du grimoire et de certains autres livres, où sont compilées les formules de leur science ténébreuse. Ces livres sont un objet d’horreur et d’exécration pour nos paysans. Quelle main serait assez sacrilégement audacieuse pour entr’ouvrir les feuillets damnés du Dragon rouge, du Grand Albert, ou, seulement, de son diminutif homonyme, le Petit Albert ? Et cependant, il est d’autant plus dangereux de les avoir en sa possession, que, malgré la terreur salutaire qu’ils inspirent aux bonnes âmes, on sait aussi qu’ils ont des amorces irrésistibles pour cette curiosité orgueilleuse qui, depuis le premier péché, est devenue le partage de tous les enfants d’Eve, sans distinction de sexe.

L’arbre de la science n’a jamais secoué de fruits plus séduisants et plus pernicieux que ceux que le grimoire met à la portée de vos désirs. C’est au moyen du grimoire que vous contracterez pacte avec Satan. Or, voulez-vous savoir ce qu’on doit attendre de ces alliances redoutables avec l’Enfer ? Vous êtes pauvre ou ignorant, coupable ou désespéré ; l’Éternité céleste n’est rien pour vous, vous sentez bien qu’il ne vous est pas donné d’y atteindre ; alors, vous vendez votre ame à Satan, au prix de je ne sais quel bien promis, qui doit vous rehausser d’un degré au-dessus de l’abîme où vous êtes plongé. Mais prenez garde ; ne négligez pas d’établir formellement vos conditions : Satan n’est pas prodigue ; il ne vous donnera pas un iota de plus qu’il ne vous aura promis ; il craint de vous élever trop haut ; il sait bien que vous lui échapperiez, et que les ailes de l’ame s’électrisent à l’approche du soleil. Exigez donc autant que vous pourrez obtenir ; mais, hélas ! est-il un être moins exigeant que le malheureux ? Il a je ne

  1. L. Dubois, Annuaire statist. de la Manche, 1809.