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REVENANTS.

partout d’en avoir. « Mon mari m’a rendue heureuse, disait une femme, je veux lui donner, pour son dernier voyage, une pièce de cinq francs[1]. »

Si une personne est morte assassinée, ou si sa mort a été provoquée par autrui d’une manière violente, son cadavre, en présence du meurtrier, laissera échapper du sang de ses plaies, ou en jettera par le nez. C’est probablement de cette croyance que dérive cette expression habituelle : Le sang rejaillit sur le coupable[2]. Un trait de notre histoire peut servir d’exemple à l’appui de ce préjugé :

Le lendemain de sa mort, le corps de Henri II, duc de Normandie et roi d’Angleterre, fut porté à l’abbaye de Fontevrault, lieu de sa sépulture. Il était placé sur son cercueil, dans un grand appareil, et le visage découvert. Son fils Richard, venant au devant du convoi, ne se fut pas plutôt approché, que le cadavre du roi commença à jeter du sang par le nez en signe d’indignation. On prétendait, en effet, que, par ses rebellions continuelles et les chagrins qui en avaient été la suite, ce fils ingrat avait occasionné la mort de son père. Richard, lui-même, le pensait ainsi, car ce spectacle lui occasionna un grand remords : il se prit à pleurer, et conduisit jusqu’à Fontevrault le convoi funèbre, avec les marques d’un profond et violent désespoir[3].

Il y a une sorte d’apparitions, appelées les Bières, qui passent pour être très fréquentes en Basse-Normandie. Les Bières sont de grands cercueils blancs, que l’on rencontre la nuit dans les cimetières, au milieu des chemins, ou placées sur les échaliers, et qui barrent le passage aux voyageurs. On voit quelquefois plusieurs Bières ensemble. Si un passant est obligé de déranger une Bière, il doit s’en approcher avec beaucoup de respect, la retourner bout pour bout, puis la remettre

  1. L.-J. Chrétien, Usages, préjugés et superst. de l’arrond. d’Argentan.
  2. L. Dubois, Annuaire statist. de l’Orne, 1809.
  3. Gabriel Dumoulin, Hist. de Normandie, liv. xii, p. 427.