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CHAPITRE XIV.

apparitions, que les idées des anciens relatives au même sujet. Comment comprendre la transformation progressive des âmes, enseignée par la doctrine du fouriérisme, leur retirement ascensionnel de la matière, sans le phénomène de ces ombres subtiles qui étaient, sous le nom de mânes, l’objet du culte funèbre des païens ? Au contraire, la foi du christianisme à l’immatérialité absolue de l’ame semblait en opposition avec la croyance aux revenants. Toutefois, cette croyance est entrée aussi dans les idées chrétiennes ; elle a été admise par les pères de l’église et par les décrets canoniques. On lit, dans le concile d’Elvire, tenu vers l’an 300, une défense d’allumer des cierges la nuit dans les églises, pour ne pas inquiéter les ames des saints[1].

Les préjugés relatifs aux revenants ont même cela de particulier, qu’ils sont devenus des préjugés tout chrétiens ; à peine si quelque mélange arbitraire confond en eux les superstitions de l’antiquité avec les dogmes du catholicisme. Il semble, quelle que soit l’influence des habitudes traditionnelles sur les actes de la vie, qu’on n’évoque point une religion étrangère et déchue, lorsqu’il s’agit de présider aux mystères suprêmes de la mort.

C’est donc à une cause religieuse qu’on attribue vulgairement les apparitions des morts. Les revenants sont considérés comme des ames du purgatoire qui viennent réclamer des prières, solliciter qu’on les décharge, soit en accomplissant un vœu, soit en réparant un dommage, de quelque engagement qu’elles ont contracté sur la terre[2]. Le peuple se fait, de l’apparition des revenants, une idée terrifiante, mais puérile, peu en rapport avec l’importance du miracle, et le but dans lequel il s’effectue. Ainsi, l’on suppose aux revenants l’habitude de

  1. Dom Calmet, Traité sur les Apparitions, p. 340.
  2. Odolant Desnos, Descript. du départ, de l’Orne, p. 64. — L. Dubois, Annuaire stat. de l’Orne, 1809. — L.-J. Chrétien, Usages, préjugés et superst. de l’arrondissement d’Argentan, p. 3. — Pluquet, Contes populaires de l’arrond. de Bayeux, p. 1. — P. Le Fillastre, Superst. du canton de Briquebec ; (Annuaire de la Manche, 1832.)