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LOUPS-GAROUS.

Nous regrettons de n’avoir découvert, malgré nos recherches, aucune histoire, aucune légende normande vraiment curieuse, qui se rattache aux traditions des loups-garous. Pour suppléer, d’une manière intéressante, à cette lacune de nos contes populaires, nous allons donner une analyse du Lai du Bisclavaret, de Marie de France. Ce lai, ainsi que l’indique son titre, est d’origine bretonne ; mais, outre que la fable en repose sur un fonds de superstitions analogues à celles que nous avons décrites, il a quelque droit à être intercalé dans ce recueil, à cause de la qualité de son auteur, que les biographes considèrent comme un des poètes anglo-normands les plus remarquables du xiiie siècle[1].

Marie de France, dans un court prologue de son récit, nous explique ce qu’il faut entendre par ce mot Bisclavaret :

Bisclaveret ad nun en Bretan,
Garwall Fapelent li Norman.
............
Humes plusurs garwall devindrent
E es boscages meisun tindrent.
Garwall si est beste salvage ;
Tant cum il est en cele rage,
Humes dévure, grant mal fait,
Es granz forest converse è vait.

Après ces préliminaires, voici ce que Marie raconte de l’histoire du Bisclavaret : Il y avait en Bretagne un noble seigneur, si beau de sa personne et si bon que c’était merveille ; il était aimé et respecté de ses voisins, et considéré de son prince. Il avait épousé une noble dame, qui semblait aussi lui porter beaucoup d’amour. Celle-ci se serait, en effet, trouvée fort heureuse de son union avec lui, sans une circonstance qui excitait ses inquiétudes : ce seigneur avait coutume de s’absenter trois jours de la semaine, et personne ne savait ce

  1. Poésies de Marie de France, publiées par B. De Roquefort, t. I, Notice, p. 2.