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CHAPITRE XII.

les allures du loup, et contractaient ses appétits voraces, au point d’égorger de petits enfants dont ils suçaient le sang et déchiquetaient les cadavres, s’efforçant de dévorer leurs chairs palpitantes. Quand ils s’étaient gorgés de cette abominable pâture, les lycanthropes tombaient dans un état de torpeur, d’engourdissement, qui ne leur permettait pas de se mettre à l’abri des poursuites : on les trouvait gisant à terre, auprès des restes sanglants de leurs victimes. Quelquefois aussi, on se mettait à leur poursuite avant que leur atroce frénésie fût satisfaite ; lorsqu’ils étaient en quête de leur proie, on les reconnaissait à leur démarche, ainsi qu’à la peau de loup dont quelques-uns s’affublaient. Il y a maint exemple de loups-garous qui eurent une patte coupée dans le combat où ces poursuites les exposaient ; la patte du loup-garou se trouvait être une main d’homme. Cependant, cette circonstance n’éveillait aucun soupçon contre la réalité de la transformation ; elle paraissait, au contraire, un moyen ménagé par la Providence pour constater l’identité du coupable[1].

Autant la folie des lycanthropes était monstrueuse et cruelle, autant était fanatique et violente la répression qui s’exerçait contre eux. Mais le bourreau n’a jamais été un ministre de perfectionnement moral : ceci est un fait dont l’humanité ne doit pas perdre l’expérience. Les loups-garous, aussi bien que les sorciers, n’ont abjuré leurs égarements que depuis l’ordonnance promulguée par Louis XIV, qui porte que les sorciers ne seront poursuivis que comme trompeurs, profanateurs, empoisonneurs, c’est-à-dire pour leurs véritables crimes[2]. Jusqu’à cette réaction indulgente, l’intensité du mal s’était aggravée en proportion de l’énergie désespérée des remèdes. N’est-ce pas le caractère de certaines aliénations mentales, aussi contagieuses que les maladies pestilentielles, de trouver

  1. Delancre, Tableau de l’inconstance des mauvais Anges et des Démons.
  2. Eusèbe Salverte, Des Sciences occultes, t. II, p. 24.