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CHAPITRE XI.

où il était venu habiter la ferme de Monthulé, et depuis longtemps on en avait oublié l’époque, pas un chien n’y avait pu demeurer. L’animal mystérieux tourmentait si fort ceux qu’on tentait d’élever, qu’ils mouraient l’un après l’autre. Quant à la cause de ce prodige, voici comment, de génération en génération, les pères s’en étaient expliqués à leurs enfants : Un jour, disait-on, le chien d’un voyageur s’étant arrêté à Monthulé, avait été tué par le propriétaire de la ferme. Peu de temps après, le voyageur vint à la recherche de son chien ; on lui dit qu’il était mort naturellement. « Si vous ne dites pas vrai, répliqua le voyageur, on le saura bien. » Et, sur ces mots, il s’en alla. À dater de ce moment, le chien merveilleux commença ses apparitions. C’était dans la cave de la ferme qu’il avait choisi sa retraite ; cette cave ayant été détruite, il ne se montra plus[1].

Observez que, dans ce petit conte, une croyance nouvelle se manifeste : une ame est attribuée à l’animal, puisqu’il partage avec l’homme la faculté d’apparaître après sa mort. Ainsi, le peuple, emporté par l’élan naïf de sa sensibilité, a dépassé, en fait de doctrines spiritualistes, les principes les plus avancés que la philosophie ait osé préposer.

À Yport, et dans quelques autres villages de cette partie du littoral de la mer, il existe une espèce d’animaux marins, soit chevaux, soit moutons, qui se présentent souvent sur les bords du rivage. Leurs yeux, d’une douceur enchanteresse, fascinent l’imprudent qui communique avec eux du regard. Bientôt, entraîné sans résistance, il plonge dans la mer à la suite de ces monstres, et ne reparaît plus.

La superstition ne s’est pas bornée à inventer certains types d’animaux fabuleux ; elle a doué aussi d’instincts, de facultés, de propriétés imaginaires, les êtres réels. Ainsi, les Abeilles ont, assure-t-on, des susceptibilités très délicates, qu’il est nécessaire de ménager. Ces insectes précieux ne

  1. Notes communiquées par M. A. Canel.