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ANIMAUX FABULEUX.

légende, un serpent habitait cette caverne aux murailles de diamant et d’or. Il sortait de temps à autre pour aller se baigner dans un petit lac voisin, après quoi il parcourait la campagne à la recherche de sa proie. Lorsque la faim le pressait, il allait vite en besogne, car ce monstre n’était rien moins qu’une hydre à plusieurs têtes. Les habitants de Villedieu et des pays environnants s’épuisaient en vaines lamentations ; cependant le désespoir leur inspira la découverte d’un moyen de salut. Ils imaginèrent de porter, à l’entrée de la caverne, une grande cuve pleine de lait, qu’ils avaient remplie à frais communs. Le monstre parut satisfait du régime anodin auquel on voulait le soumettre. La paix et la sécurité se rétablirent tout d’abord. Mais, un jour, soit par oubli, soit par impuissance, les habitants de Villedieu manquèrent de procurer à leur hôte sa ration habituelle. Notre serpent, qui, depuis quelque temps, ne faisait point assez forte chère pour soutenir un long jeûne, se mit en route, aiguillonné à la fois par la vengeance et par la faim. Un jeune homme s’étant rencontré sur son passage, il le dévora !

Ce jeune homme, neveu du seigneur de Bailleul, était aussi chéri des vassaux que son oncle en était détesté. Cependant, le seigneur de Bailleul, malgré sa dureté bien connue, fut vivement affligé de la mort de son neveu ; il jura que le jour des représailles ne se ferait pas attendre.

De monstre à tyran la guerre s’allume vite, mais celle que projetait le baron de Bailleul demandait quelques préparatifs indispensables. L’adroit seigneur commença l’attaque par une ruse bien calculée, c’est-à-dire qu’il fit déposer deux moutons à l’entrée de la caverne, et, de plus, remplir la cuve, où s’abreuvait le dragon, d’eau-de-vie au lieu de lait. Celui-ci dévora les deux moutons, en se félicitant de ce que la leçon donnée aux habitants de Villedieu produisait de tels fruits ; puis il s’endormit dans l’enivrement de son succès et de la cuve d’eau-de-vie qu’il avait vidée. Le moment était venu pour le seigneur de Bailleul d’assurer sa vengeance ; nou-