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LUTINS

peine dans le lieu où il avait régné, et vit sauver les hommes auxquels il avait si souvent insulté en travaillant à leur perte[1]. »

Suivant ce témoignage de notre moine historien, le Gobelin ne serait rien moins qu’un démon orthodoxe, supérieur par l’origine et l’antiquité à la race des Lutins Scandinaves. Ainsi, ce serait seulement par analogie de caractère et de mœurs qu’on lui aurait attribué le nom de Gobelin, dont on retrouve la racine gothique dans le mot allemand Kobolt[2].

Dans quelques parties de la Normandie, les Lutins servants sont appelés les Hans, à cause de ce que nous avons dit ailleurs, de leur habitude de hanter certaines maisons[3].

Il faut ajouter aussi que les Lutins et les Gobelins fréquentent particulièrement les vieux châteaux, les lieux solitaires et mal famés, les monuments druidiques, et tous les endroits qui peuvent recéler les trésors cachés dont ils prennent possession.

Le Gobelin règne dans l’intérieur de la Normandie ; mais tout le littoral du pays de Caux est sous la surveillance et la domination du Nain rouge. Celui-ci a une physionomie sévère, en rapport avec la contrée abrupte et solitaire qu’il habite. Il semble que, devant ces hautes falaises, imprégnées de l’air salin de la mer ; qu’au milieu de ces vallées mélancoliques, où se fondent toutes les brumes orageuses de la rive, le Nain rouge n’ait jamais perdu de vue la sombre Scandinavie, et qu’il n’ait pu se dépouiller aucunement du caractère et des habitudes qu’il doit à son origine. Comme les Duergar et les Trolds, il est d’une humeur vindicative et d’une farouche susceptibilité. Habile et passionné nécromancien, il obéit ponctuellement à l’appel des mots cabalistiques. Aussi n’est-il pas difficile d’entrer en communication avec lui ; peut-être même obtiendra-t-on ses services pour réaliser certains projets de mariage, de

  1. Orderic Vital, Histoire de Normandie, liv. v, t. ii, p. 322 de la traduction de M. Louis Dubois.
  2. La Monnoye, Notes sur Bonaventure Desperriers.
  3. Pluquet, Contes populaires de l’arrondissement de Bayeux, p. 12.