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CHAPITRE VII.

lui cria amicalement : Wi flutten ! (Nous déménageons !)[1] » Cette ingénuité railleuse, qui dut démonter le courage du pauvre homme, était une véritable saillie de lutin.

Ne méritaient-ils pas quelque déception de cette sorte, ceux qui, par une tentative inhospitalière, essayaient de pourchasser ce peuple vif et spirituel, qui égayait de ses malices la rusticité de la chaumière villageoise, et qui venait par son adresse au secours du travail nécessiteux ?

On raconte que les Lutins venaient quelquefois, pendant les veillées d’hiver, s’asseoir au milieu des travailleurs, et filer le lin avec eux. En s’en allant, ils jetaient un peloton par la fenêtre, et, déroulant ce fil jusqu’au plus haut des airs, s’y mettaient à cheval pour retourner au pays des nuages[2]. Si un semblable fil pouvait ramener nos lutins ici-bas, nous connaissons de pauvres solitaires qui ne se fâcheraient point de le voir se diriger sous leur toit ; dût, en grâce de l’hospitalité, toute la bande joyeuse faire son sabbat au logis !

Encore quelques mots sur notre Gobelin normand, qui, suivant la tradition, aurait une origine toute différente de celle des autres lutins. Orderic Vital, parlant de saint Taurin, premier évêque d’Évreux, qui vint de Rome dans le pays des Évantiques pour prêcher l’évangile et détruire l’idolâtrie, dit que ce saint prélat chassa du temple de Diane un horrible démon qui, pendant long-temps, ne cessa point d’habiter la ville où il faisait de fréquentes apparitions, mais sans pouvoir jamais nuire à personne. « Le vulgaire, ajoute-t-il, l’appelle Gobelin[3], et assure que, jusqu’à ce jour, les mérites de saint Taurin l’ont empêché de nuire aux hommes. Comme il avait obéi aux ordres du saint évêque en brisant ses propres statues, il ne fut pas à l’instant replongé dans l’enfer, mais il subit sa

  1. Henry Heyne, l’Allemagne depuis Luther, Revue des Deux-Mondes, 1834, t. I, p. 486.
  2. Contes du Gay-Savoir (Notes).
  3. Hune vulgus Gobelinum appellat. (Ordericus Vitalis, lib. v.)