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CHAPITRE VII.

est enclin à des retours de tendre compassion, et puis, ce ne sont jamais les amoureux qu’on rebute qui vous tiennent le plus rigueur !

Sans employer des moyens aussi extrêmes que celui dont se servit le mari courroucé de la belle Normande, on peut se débarrasser des Lutins quand leur présence devient importune et fâcheuse : comme ils aiment beaucoup la symétrie, il suffit, pour les rebuter, de déplacer ce qu’ils ont mis en ordre, ou de jeter çà et là de la graine de lin dans l’appartement que le gobelin habite ; sa vivacité naturelle ne lui permet pas de la ramasser ; il finit par s’impatienter, et va chercher fortune ailleurs[1] !

Cependant, les Lutins n’ont pas l’habitude de s’introduire en intrus dans les maisons qu’ils se proposent d’habiter. Avant de s’établir dans un lieu quelconque, ils tentent une épreuve qui les assure que le maître du logis est disposé à payer, par une légère condescendance, l’agrément de leur compagnie. Voici en quoi consiste cette épreuve : Ils amassent dans un coin, ou éparpillent au milieu de la maison, force copeaux et petits éclats de bois : ils jettent de la fiente de bétail dans des seaux pleins de lait. Si le maître de la maison, remarquant ce manège, laisse les copeaux sans les ramasser, et s’il consomme le lait souillé, en compagnie de sa famille et de ses serviteurs, les Lutins, satisfaits de cette marque de déférence, s’établissent chez lui pour toujours[2].

Cette hospitalité peut donc avoir sa bonne ou sa mauvaise chance, suivant l’espèce des Lutins auxquels elle profite ; quelques esprits malfaisants se plaisent, surtout, à porter le trouble dans les lieux où ils s’installent : « Tantôt, remuant et renversant les ustensiles, tables, tréteaux, plats, écuelles, tantôt tirant l’eau d’un puits et faisant crier la poulie, ou bien ils cassent les verres, font tomber les ardoises, jettent

  1. L. Dubois, Annuaire statist. du dép. de l’Orne, 1809, p. 115.
  2. Henry Heyne, l’Allemagne depuis Luther, Revue des Deux-Mondes, 1834, t. I, p. 486 ; — Becker, Monde enchanté, t. I, p. 289.