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CHAPITRE VI.

Ces pauvres enfants, déjà si menacés, sont encore sous le coup d’un autre danger non moins redoutable. On est persuadé que les enfants qui n’ont pas sept ans accomplis, courent risque d’être enlevés par des sorciers et des vieillards, qui les mangent, mais qui n’ont de pouvoir, toutefois, qu’après que le soleil est couché[1]. Sans doute ce sont des ogres très voraces, quoique exposés à faire assez maigre chère ! Or, ces ogres, que nos contes de fées ont popularisés, ne sont rien moins que les descendants du Diable, comme il est facile de le prouver en remontant à leur généalogie.

On appelait Ogres, au treizième siècle, ces peuplades barbares, issues des plateaux de la Tartarie, et dont les migrations fréquentes dévastèrent et bouleversèrent l’Europe pendant le moyen-âge. Tous nos anciens auteurs se sont accordés pour en tracer un horrible portrait : « Ce sont, dit Matthieu Paris, gens forts et robustes, la poitrine large, maigres et pâles de visage, mal bâtis et les épaules hautes, le nez plat et court, le menton long et pointu, la mâchoire inférieure rentrée, les dents longues et aiguës, les sourcils joints, les yeux noirs et étincelants, les os forts et massifs, les cuisses épaisses, les jambes courtes, et toute la physionomie hideuse et épouvantable. Ils tuent et égorgent hommes, femmes et enfants, et se nourrissent de leurs carcasses, ne laissant aux vautours et oiseaux de proie que les os décharnés de leurs victimes[2]. »

Ce nom : Ogres, qu’on avait appliqué à ces redoutables barbares, est, en langue romane, le synonyme de Hongrois, qui dérive d’Hunni-Gours. En Dacie et en Pannonie, on les nomma d’abord ainsi, dit M. Walkenaer, du nom des anciens Huns et des féroces Oïgours, les premiers et les plus célèbres de ces dévastateurs[3].

  1. L. Dubois, Annuaire statist. du départ. de l’Orne, 1809. — J. Chrétien, Usages, Préjugés, etc., de l’arrond. d’Argentan.
  2. Matthieu Paris, Grande Chronique, t. II, année 1241.
  3. Walkenaer, Lettres sur la Féerie, p. 168 et suiv. Le Loyer appelle les Huns : Hungres ou Hugres. Cette dernière dénomination se rapproche beaucoup du mot Ogre.