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CHAPITRE VI.

d’œufs, et en rangea les coques devant l’enfant ; aussitôt, celui-ci de s’écrier : Oh ! que de petits pots de crème ! Oh ! que de terrines de lait ! (Remarquez que c’était un enfant à la mamelle qui s’exprimait avec tant d’énergie.) Il n’en fallait pas davantage pour que l’échange fût valablement constaté. La voisine officieuse conseilla, afin de forcer la fée à reprendre son enfant et à rapporter l’autre, de faire crier bien fort celui-ci, et d’avoir l’air de le maltraiter rudement. La tentative eut plein succès ; rappelée par les cris de sa progéniture, la fée accourut tout émue, suppliant qu’on épargnât son cher enfant, qu’on le lui rendit même ; et qu’à ce prix elle rapporterait celui qu’elle avait enlevé. La fée, on s’en doute, fut prise au mot. Par malheur, ceci est une conclusion assez exceptionnelle dans l’histoire des enlèvements d’enfants.

En Bretagne, et dans le pays de Galles, la donnée de cette légende existe avec une modification dans le moyen, puérilement original, que la mère emploie pour forcer l’enfant de la fée à parler, et à trahir par là sa descendance. Au lieu de présenter une douzaine de coques d’œufs devant l’enfant, la mère feint de préparer à dîner dans une seule coque, pour dix laboureurs de la maison.

« Que faites-vous là, ma mère ? disait le nain avec étonnement ; que faites-vous là, ma mère ?

— Ce que je fais ici, mon fils ? Je prépare à dîner dans une coque d’œuf, pour dix laboureurs de la maison.

— Pour dix, chère mère, dans une coque !

J’ai vu l’œuf avant de voir la poule blanche ; j’ai vu le gland avant de voir l’arbre.

J’ai vu le gland et j’ai vu la gaule ; j’ai vu le chêne au bois de Brézal, et n’ai jamais vu pareille chose.

— Tu as vu trop de choses, mon fils ; clic ! clac ! clic ! clac ! petit vieillard, ah ! je te tiens ![1] »

  1. Th. de la Villemarqué, Chants popul. de la Bretagne : l’Enfant supposé, chant III.