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LES FÉES.

À propos de cette catastrophe finale, que dirons-nous de toutes les traîtrises moqueuses, de tous les jeux perfides que l’on a attribués aux fées ? Ceci est la part d’invention du peuple ; c’est, en quelque sorte, la conclusion symbolique et morale qu’il a ajoutée aux traditions des antiques mythologies, aux brillantes conceptions des poètes ; non pas, cependant, une allégorie péniblement imaginée et définie à l’avance, mais une image imprévue, créée par un sublime instinct de la vérité. En effet, ces vœux sans cesse excités par un prestige mystérieux, et toujours inhumainement repoussés ; ce cercle magique qui vous entraîne avec amour, puis vous rejette et vous brise avec dédain, n’est-ce pas un tableau frappant des fascinations mensongères de l’espérance, ou même, avec une application plus étendue encore, du vertige dangereux que nous occasionne, au milieu des sèches réalités de la vie, l’intuition d’un idéal auquel il ne nous est pas donné d’atteindre ? Tous les symptômes de cet étrange malaise se trouvent si parfaitement indiqués dans la ravissante fiction de la danse des fées, qu’on pourrait les étudier là, tels que nous les ressentons de nos jours. Depuis que les groupes aériens se sont évanouis devant un regard mieux éclairé de la raison, est-ce que le frémissement de l’herbe, l’agitation du feuillage, le tournoiement de l’eau, n’excitent plus dans nos veines un frisson mystérieux ? Est-ce que les sons mourants d’une musique lointaine n’assiègent plus notre cœur d’un trouble ineffable ? Est-ce que les rayons éplorés de la lune, comme un magique réseau, n’enlacent pas notre ame pour l’attirer vers une autre sphère ? Alors la divinité irrésistible, dont l’ascendant nous entraîne, semble aider notre ascension de ses propres ailes ; l’Isis voilée, dont le charme nous fascine, est prête, en apparence, à nous communiquer le secret de sa radieuse beauté. Mais, hélas ! tout cela n’est que le prestige d’un instant, un rapide éblouissement, pendant lequel la terre nous échappe sans qu’il nous soit donné d’entrer en possession du ciel. Bientôt un choc doulou-