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CHASSES FANTASTIQUES.

paisse présenter un témoignage des faits merveilleux dont j’ai été témoin. »

Sur cette réflexion, Gaucelin s’avança sur le milieu du chemin, et se saisit de la bride du premier cheval qui se trouva devant lui. Mais l’animal exhala par les naseaux une fétide vapeur qui s’éleva en tourbillonnant jusqu’à la hauteur d’un chêne. Malgré cette sorte de menace tacite, Gaucelin monta sur le cheval dont il s’était emparé ; il trouva sous son pied l’étrier aussi brûlant qu’un fer rougi à la fournaise, tandis que la bride qu’il tenait en sa main faisait pénétrer jusqu’à ses entrailles un froid insupportable. Cependant quelques-uns des chevaliers s’étant aperçus du vol qui se préparait, se détachèrent du reste de la troupe, et, avec d’affreuses vociférations, voulurent contraindre Gaucelin à les suivre pour le punir d’avoir dérobé ce qui appartenait aux morts. Un d’entr’eux se ravisant tout-à-coup s’écria : « Laissez en paix cet homme, je veux le charger d’un message pour ma femme et mes enfants. » Puis se tournant vers Gaucelin : « Je suis Guillaume de Glos, fils de baron ; de mon vivant j’ai été sénéchal de Guillaume de Breteuil et de son père Guillaume, comte de Hertford. J’ai commis un grand nombre de crimes ; mais c’est mon avarice et le péché d’usure qui me valent le plus cruel des tourments que j’endure. Tu vois ce fer rouge que je porte à la bouche, et qui me paraît plus pesant que la tour de Rouen ; c’est le fer d’un moulin sur lequel j’avais prêté à gages à un pauvre vassal. Mon débiteur n’ayant pu me restituer mon prêt, je m’emparai de son bien, que j’ai transmis à mes héritiers. Ma femme Béatrix et mon fils Roger ont déjà reçu, au sujet de ce gage, beaucoup plus que je n’avais prêté. Fais-leur part de l’horrible état dans lequel je suis, afin qu’ils allègent mes souffrances, en restituant le bien dont ils sont les injustes détenteurs. » Quoique, à plusieurs particularités que le fantôme lui remit en mémoire, Gaucelin reconnût, à n’en pas douter, que c’était en effet Guillaume de Glos qui lui parlait, il refusa de se charger du message proposé, prétextant, avec raison, qu’on