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Pierre et Jean (bénis soient ces contrastes étranges !)
Dans leur folie avaient un mérite commun :
Ces deux jeunes démons s’aimaient comme deux anges,
Et cette seule fleur donne à tout son parfum.

Un jour, Pierre, en entrant dans la classe, était blême ;
Sur son corps presque nu courait un long frisson,
Et le maître, rêvant à quelque stratagème,
Dit à l’enfant d’abord : « Récite ta leçon.

« La cause de ton mal sans peine se démêle :
« Ce sont les vêtements horribles que voici,
« Ce sont tes bas troués, tes souliers sans semelle,
« Ta casquette sans fond, et tout le reste ainsi !

« Eh bien, nous avons là ta garde-robe prête,
« Des habits neufs et chauds comme une peau d’ourson ;
« Nous allons t’habiller des pieds jusqu’à la tête ;
« Seulement, cède un peu ; commence ta leçon ! » —

« Je ne veux pas ! Jamais ! » répond Pierre. Le maître,
Grave, mais indulgent pour le pauvre insoumis,
Dit à tous les enfants : « Quelqu’un de vous peut-être
« Pour lui voudra gagner tout ce que j’ai promis ?

« Si l’un de vous s’engage à savoir la grammaire,
« À se conduire bien pendant un mois entier,
« Pierre sera ce soir habillé comme un maire
« Et sera dans huit jours joufflu comme un rentier ! »