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Eschyle les libertés qu’on m’a loué d’avoir prises, et que Quintilien déjà conseillait de prendre avec Sénèque.

Dans le monde d’Eschyle, en supposant que le public puisse y entrer, nous nous trouverions dépaysés. Sénèque est plus près de nous, nous lui ressemblons davantage, et dans cet art troublé, déclamatoire, je le sais bien, quelque chose de nous se retrouve encore.

D’ailleurs, plusieurs imitations et traductions du théâtre grec ont obtenu en France un succès que je n’aurais pas eu l’espoir de renouveler ; mon espoir, beaucoup plus modeste, a été de donner au public une idée de cette tragédie latine qui est l’aïeule de la nôtre. De même que l’on cherche comment Racine a exprimé, sous des noms antiques, les sentiments et les passions de son temps, de même j’ai voulu montrer comment Sénèque a prêté à des personnages grecs les idées qui agitaient les Romains de son époque ; dans son Agamemnon ne cherchez pas Thyeste, Égysthe, Clytemnestre, Cassandre, mais Caligula, Néron, Germanicus, Agrippine, les bourreaux et les victimes que Sénèque avait sous les yeux. C’est pour cela que la tragédie romaine, à l’inverse de la tragédie grecque, prend parti pour le vaincu contre le vainqueur ; Agamemnon, c’est la revanche de Troie, et c’est surtout la revanche de Rome contre Néron.

Cette tristesse profonde, cette sorte de désespoir farouche, qui remplissent l’Agamemnon, ont été comrises, et je n’ai plus la crainte d’avoir fait jouer à Sé-