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Enlevant Briséis, enflammant le courroux
D’Achille, se riant de l’honneur des époux,
C’est ainsi sur Pâris qu’il vengeait notre injure !
Et maintenant il vient, ravisseur et parjure,
Sans prévoir ma douleur ou ma rébellion,
Couronner dans Argos la fille d’Ilion,
Et dès que sur ces bords on les verra descendre,
Il peut donner ma couche et mon sceptre à Cassandre !
— Prépare-toi, mon âme, à ces rudes combats ;
Prends les devants du crime, et frappe ! N’attends pas
Qu’au front de sa Troyenne il ait mis ta couronne ;
Qui pourrait t’arrêter, qui l’oserait ? Personne ;
Quel intérêt ? Aucun ; ton fils, tes filles ? Non :
Songe quel avenir leur garde Agamemnon !
Va, malheureuse ! au lieu de te laisser abattre,
Va sauver tes enfants des mains de leur marâtre ;
Elle vient furieuse : Allons ! Frappe au plus tôt ;
Que tes flancs soient percés du glaive, s’il le faut,
Mais que le même fer le frappe à la même heure,
Mêle ton sang au sien, et meurs pourvu qu’il meure !

LA NOURRICE.

Calme-toi, reine, et songe à bien envisager
Non plus l’horreur d’un tel forfait, mais le danger.
Il revient, ce vainqueur des Phrygiens en larmes ;
Contre ce roi des rois, quelles seront tes armes ?
Ce héros qu’une femme espère vaincre ici,
À répandre son sang aucun n’a réussi,
Aucun des plus vaillants et des plus redoutables,
Achille, Hector, Pâris aux traits inévitables,
Ajax, le noir Memnon, le Xanthe mugissant,
Roulant les soldats morts dans ses flots teints de sang,
Cycnus, fils de Neptune, et la libre Amazone
Portant le lourd carquois où la flèche résonne !
Ce héros dont ta main apprête le trépas,
Penses-tu que les Grecs ne le vengeraient pas ?