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LA NOURRICE.

Qu’à tes yeux les devoirs d’épouse soient présents,
Que ton mari…

CLYTEMNESTRE.

Que ton mari… Je fus veuve pendant dix ans !

LA NOURRICE.

Pense que tes enfants sont les biens, considère…

CLYTEMNESTRE.

D’Iphigénie aussi je sais qu’il fut le père !
Ce titre, grâce auquel tant de pleurs ont coulé,
Va, je n’ai pas besoin qu’il me soit rappelé !
Ô honte ! Ô désespoir ! Moi, fille de Tyndare,
Fille des dieux ! j’ai donc pour cet autel barbare
Enfanté la victime ! Hélas ! devant mes yeux
Je crois toujours le voir, ce spectacle odieux
Où l’âme de Pélops d’un feu sinistre brille ;
Il était là, le père atroce de ma fille,
Debout près de l’autel ! — Tous les Grecs, et Calchas
Lui-même… Agamemnon lui seul ne frémit pas !
Ô famille exécrable, ô race de Tantale
Où le crime vainqueur sur le crime s’étale !

LA NOURRICE.

Du moins, ce sacrifice a sauvé nos vaisseaux
Que la mer immobile enchaînait dans ses eaux,
Et le vent réveillé vint soulever les voiles.

CLYTEMNESTRE.

Ils ne partirent pas sous d’heureuses étoiles !
L’Aulide de ses ports chassa ces inhumains,
Et ce jour eut pour eux de pires lendemains :
Le fier Agamemnon a ravi la prêtresse
D’Apollon, d’une esclave il a fait sa maîtresse ;
Les Augures en vain croyaient l’épouvanter,
À Calchas, cette fois, il savait résister !
Les Grecs semblent vaincus ; qu’importe, si l’Asie
Offre à ce roi des rois la maîtresse choisie !