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craignent, mais qu’ils t’aiment aussi. Excite leur amour-propre, en ayant soin toutefois de ne pas mettre en jeu la jalousie qui envenime tout. Par ton calme, maintiens les indisciplinés ; par ta bonté, attire les faibles qui ont besoin d’encouragement. Tu gagneras d’abord le respect de tes élèves, ensuite, l’estime de leurs parents. Mais souviens-toi que c’est dès la première heure, que dis-je ! dès la première minute de ta première classe que tu dois te montrer tel que tu veux rester.

Défie-toi de l’impression que tu donneras dès le début ; car, si elle est bonne, tu tiendras, comme on le dit vulgairement, ta classe dans ta main, si elle est mauvaise, tu auras fort à faire pour changer l’opinion des enfants sur ton compte, et pour en venir à bout. »

Voilà ce que se redisait le jeune professeur, en présence de trente gamins dont les yeux étincelaient d’une malice que les enfants vont chercher on ne sait où, et comme il allait parler, un chuchotement le prévint : de bouche en bouche, à mi-voix d’abord, puis plus haut, ces deux mots couraient dans la classe :

— S’envolera !… s’envolera pas ! s’envolera !

Le professeur les entendit, et il vit que les trente paires d’yeux étaient braquées sur son épingle de cravate, qui représentait une grosse mouche.

Un instant, un seul ! il se sentit perdu : quelle erreur n’avait-il pas commise ! quand on a tout à craindre, ne doit-on pas mettre les atouts de son côté ! et n’était-ce pas une faute irréparable que de commencer par donner prise à une moquerie ! Le sang lui bouillonna dans les veines. Il fut sur le point de prendre la mouche — celle de son épingle, s’entend — et de la jeter loin de lui ; mais il se contint ; cette action aurait fort ressemblé à une capitulation. Non, il fallait tenir bon contre l’assaut. Et appelant à lui ce qu’il avait de sang-froid, d’une voix qui domina tous les chuchotements :