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LE PETIT DÉ.



On vendait de la bière au détail à la grande brasserie des Van Duren et Cie, à Bruges, et chaque matin la mère Gudule venait en acheter pour cinquante centimes.

C’était une grosse dépense que faisait là la mère Gudule, car elle n’était pas riche ; mais elle se passait cette fantaisie depuis bientôt trente-cinq ans, et une fantaisie qui date de trente-cinq ans peut bien s’appeler une habitude, et même une habitude invétérée.

Dans son quartier la mère Gudule passait donc, et avec assez de sens, pour… boire un peu.

Comme de plus elle fréquentait peu ses voisins, on ne l’aimait guère.

Ce matin-là, comme tous les matins, elle se présente à la brasserie avec sa chopine ; mais comme elle cherchait au fond de sa poche les cinquante centimes qu’elle y avait mis, elle entendit un petit cliquetis de monnaie, et s’aperçut que ses sous tombaient un à un du fond de sa poche par terre.

Elle vida la dite poche, qui contenait son mouchoir et ses clefs, et, la retournant, elle constata qu’elle était percée.

Elle poussa un petit cri étouffé ! Elle avait son mouchoir, ses clefs, tous ses sous : que lui manquait-il donc ? Pourquoi inspecta-t-elle d’un œil hagard le plancher ? Pourquoi sortit-elle lentement de la brasserie, y oubliant sa canne, sa chopine, son mouchoir, ses clefs et ses sous, pour faire lentement, les yeux rivés à terre, le chemin qu’elle avait fait pour venir ?