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POUR UNE MOUCHE



LE père Bonjour, le vieux maître d’école de Drive sur l’Orette, venait de mourir, et nous ses élèves qui lui avions joué tant de tours, qui avions exercé sa patience avec un zèle si infatigable, et qui l’aurions volontiers regardé comme un ennemi, tout uniment parce qu’il était maître d’école, nous avions été un peu émus en apprenant sa mort. Avec l’indifférence inqualifiable de notre âge, nous ne remarquions pas que depuis quelques mois il changeait beaucoup, et quand, sans maladie, il s’en alla d’épuisement, nous fûmes surpris et un peu troublés. Je me rappelle que je pelais pacifiquement une orange, quand mon camarade Portain m’annonça cette nouvelle.

— Ce n’est pas possible, lui dis-je, il nous a fait la classe encore ce soir (une classe qui, je m’en souviens, avait été fort orageuse) ; il y a deux heures à peine que nous sommes sortis, ce n’est pas possible !

Mais tout en disant : « Ce n’est pas possible, » je courus à l’école, où j’appris la triste vérité, et je rentrai avec un grain de remords au fond de mon cœur, car je n’avais pas toujours été un élève discipliné, et j’avais bien souvent exercé la patience du pauvre maître.

Je me sentais tout chose à l’idée que je ne le verrais plus dans la chaire d’où il nous initiait aux sciences que bien souvent nous avions dédaignées, et mes camarades m’avouèrent qu’ils avaient tous eu la même impression que moi. Pas un d’entre nous ne manqua d’aller à l’enterrement, et l’on remarqua notre bonne tenue ; mais, au retour du cimetière, nous éprouvâmes comme une détente, nos petites poitrines se dilatèrent, nous étions depuis quelques heures si bien