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dans le modeste troisième étage que mes grands-parents avaient loué en quittant le vieil hôtel.

— Pauvres petits ! dit grand’mère en souriant, ce serait trop cruel de vous priver de votre partie que nous étions seuls à avoir oubliée.

Et dans le nouveau salon, qu’emplissait le quart de l’ameublement de l’ancien, nous commençâmes la partie, qui devint, en peu d’instants, animée et Joyeuse.

J’avais, par une chance insensée, aussi inouïe que rare pour moi, conservé mes deux jetons presque jusqu’à la fin. Je les couvais des yeux, et je lançais des regards fulminants aux diables qui me tentaient ; mais je m’aperçus tout à coup que, malgré ma vigilance, on m’avait pris une fiche. Accusant un de mes adversaires, j’eus recours, pour me faire rendre justice, à l’intervention habituelle, et je criai :

— Je parle à la rosace !

Comme de coutume en pareil cas, nous levâmes tous la tête ; mais nos yeux ne rencontrèrent plus la rosace dorée et fouillée ; nos amis les oiseaux n’étaient pas là.

Nous nous regardâmes embarrassés. Qu’avais-je dit ? Oh ! comme j’aurais voulu retenir cette phrase, qui rappelait à grand-père un changement de situation, dont la cause restait pour nous inexplicable !

Il y eut dans le salon un silence. Grand-père le rompit :

— Il vaut mieux tout leur raconter, dit-il.

Il s’accouda à la cheminée, et, nous tenant sous son regard, il nous dit comment il venait de donner toute sa fortune pour sauver du déshonneur un de ses frères, l’oncle Rodolphe, qui avait fait de tristes spéculations.

Rien n’avait forcé grand-père à sacrifier le luxe et même le bien-être de sa vie… rien… que l’honneur du nom. Et après nous avoir laissé entrevoir que l’avenir serait changé pour nous, comme le présent