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Le dimanche soir, ils réunissaient à dîner tous leurs enfants et petits-enfants. Nous étions vingt à table. Les petits étaient bien sages, à cause de grand-père et de grand’mère ; mais nous nous rattrapions en entrant dans le salon, et nous nous attablions avec fracas à la table préparée à notre intention, et où prenaient place maman et mes tantes, tandis que grand-père en faisait le tour pour nous surveiller.

— À quoi jouons-nous ? était la première question que nous posait maman en battant les cartes.

Invariablement nous répondions :

Au diable.

— Non, disait maman, ce jeu amène trop de disputes.

Mais nous répétions :

Au diable ! au diable ! en interrogeant grand-père du regard ; et comme nous ne manquions jamais de lire dans ses yeux un arrêté tout en notre faveur, nous criions de plus belle :

Au diable ! au diable ! et avec grand-père comme auxiliaire, nous remportions la victoire.

Ce jeu, qui effrayait tant maman, consistait eu une partie d’as qui court, pour laquelle on nous donnait à chacun deux jetons ; mais quand on avait perdu ses jetons, on était diable, c’est-à-dire hors du jeu, et il était interdit à tout joueur de vous adresser la parole, sous peine de vous passer un jeton. Le rôle des diables était donc de tenter, par tous les moyens possibles, d’entrer en conversation avec les joueurs ; car s’ils arrivaient à les faire parler et à gagner un jeton, ils cessaient naturellement d’être diables, et pour en arriver à leurs fins, ils employaient tous les moyens possibles : pinçaient leurs voisins, dans le but de leur arracher un cri de douleur, qu’ils prenaient pour une réponse… ; promenaient la lampe d’un bout à l’autre de la table,