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publique ; ils s’amusaient comme autrefois. C’est qu’ils n’avaient pas traversé le champ de bataille ; ils n’avaient pas vu leur père, la poitrine percée d’une balle, étendu mort auprès d’un grand Allemand, celui qui lui avait porté le dernier coup.

Sa seule distraction était d’aller en classe ; il y apprenait le français, et quand il serait grand, il revendiquerait ses droits. Cette pensée le soutenait ; mais un jour il ne trouva plus en classe le vieux professeur, il était remplacé par un Allemand : on ne ferait plus la classe en français, ils étaient tout à fait Prussiens ; et Frantz s’était révolté, il s’était dit : Je partirai. Il avait mûri longtemps son projet de fuite ; il le combinait en classe, il y rêvait la nuit ; sa petite ville natale n’était pas éloignée de la frontière, il pourrait peut-être gagner facilement la France ; et un soir, il était parti, ne craignant qu’une chose : être repris par les Allemands. Il y avait bien des jours qu’il marchait quand il tomba épuisé dans la forêt où il s’endormit.

Il fut réveillé fort tard par un bruit de voix. Il allait être surpris. c’étaient les gendarmes, les gendarmes allemands qui allaient le prendre, le garrotter et le ramener en Allemagne, dans ce pays qui ne serait jamais sa patrie, malgré les enseignements du nouveau maître d’école. Où fuir ?

Mais il n’était plus temps… les pas se rapprochaient… il distinguait un babil d’enfant. Il se souleva et vit apparaître, au détour d’un sentier, une petite fille et une dame. La petite fille, toute saisie de cette apparition soudaine, se cramponnait au bras de la dame, qu’il n’osait regarder. C’était sans doute une de ces grandes Allemandes blond-filasse, comme la femme du maître d’école, et elle allait le ramener par l’oreille ; mais la petite fille, qui était brune et mignonne, n’aurait-elle pas pitié de lui ? Et, voulant savoir s’il était sauvé :

— Est-ce que je suis en France maintenant ? demanda-t-il.