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UN FUGITIF



LE printemps revenait pour la seconde fois en Alsace depuis que ce pays avait passé aux mains de l’Allemagne ; toutes ces plaines, qui avaient été jonchées de morts, reverdissaient : la marguerite des champs fleurissait à la place où tant de braves avaient expiré et les oiseaux bâtissaient leurs nids sans se demander si l’arbre sur lequel ils chantaient était devenu prussien ou s’il était resté français.

La nuit tombait lentement ; les étoiles, une à une, perçaient le firmament et apparaissaient d’abord vacillantes et ternes ; mais, à mesure que l’ombre se faisait, elles devenaient plus brillantes et bientôt, au-dessus de la forêt, le ciel parut être une grande nappe d’or. Dans le silence de la nuit, un léger bruit de pas se fit tout à coup entendre : ce bruit était sans doute produit par le passage d’un animal quelconque : un lapin qui se sauvait, un lièvre qui regagnait son gîte… ; mais non, ce pas était hésitant, incertain : un enfant, un petit garçon de dix ans, errait dans la forêt. Il avait les cheveux en broussailles, l’air épuisé… ; d’où venait-il et où allait-il ? Il devait marcher depuis longtemps, car ses jambes fléchissaient, et il s’affaissa sur lui-même, n’en pouvant plus. Alors dans un demi-sommeil, qui n’était pas encore le rêve, il revit sa vie bien courte et déjà si agitée.

Il était heureux chez lui, en Alsace, dans la jolie petite maison où il était né, où il vivait entouré de tendresse, gâté par ses parents ; mais la guerre avec la Prusse s’était déclarée ; son père s’était fait soldat pour défendre la France, et sa mère avait refusé de s’éloigner du théâtre de la guerre, dont Frantz avait suivi toutes les horreurs.