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MADAME PUTIPHAR.

doivent vivre en société, pourquoi la Providence en fait-elle d’insociables, pourquoi va-t-elle contre son but ? Est-elle donc extravagante ? Une Providence ne sauroit l’être. D’ailleurs cette raison n’explique rien, car il est des hommes sociables victimes de la société ; car il est des hommes bons dont l’existence est affreuse ; car il est des hommes victimes d’événements indépendants de leur volonté, d’événements que leur esprit ne pouvoit prévoir, que nulle vertu humaine ne pouvoit parer.

Pour détourner du désespoir, on a, il est vrai, inventé la vie future, où le juste est récompensé, et le méchant puni ; mais pourquoi récompenser le juste, qui n’a pas eu à opter entre la justice et l’iniquité ? mais pourquoi châtier le méchant, qui n’a pas eu à choisir entre le crime et la bienfaisance ? On ne doit récompenser et punir que les actes volontaires. C’est Dieu, et non pas le créé qu’il faudroit glorifier quand il a fait une bonne créature, et qu’il faudroit supplicier quand il en a fait une mauvaise. Il étoit bien plus simple, au lieu de faire deux existences, une seconde pour redresser les torts de la première, d’en faire une seule convenable.

Si le péché originel est une injustice, la destinée fatale originelle est une atrocité. La loi de Dieu seroit-elle pire que la loi des hommes ? seroit-elle rétroactive ?

Je ne m’arrêterai pas plus longtemps à ces pensées fatigantes et révoltantes : je ne chercherai point à expliquer ces choses inexplicables : si je m’y appe-