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À défaut d’une solution rigoureusement satisfaisante, on peut essayer de donner quelques indications sur la voie dans laquelle cette solution pourrait être cherchée.

Pour nous borner à la science, on pourra tout d’abord essayer de contrôler les aptitudes par un système d’examens assez larges et assez variés pour que des voies diverses soient ouvertes très nombreuses et que les jeunes gens puissent s’engager dans celle qui correspondrait le mieux à la nature de leur esprit ; leur choix fait, ils devraient pouvoir choisir encore entre plusieurs manières de mettre en évidence leurs talents, manières assez différentes les unes des autres pour diminuer les chances de laisser échapper les talents originaux. Une fois admis à faire de la science, les jeunes gens devraient être soumis au contrôle fort souple de leurs aînés immédiats et surtout de leurs contemporains et pairs. Il ne serait pas interdit d’exiger d’eux des services sociaux (enseignement ou autres) correspondant à leurs aptitudes, sous la réserve que ces services ne leur prendraient pas trop de temps. Enfin, il conviendrait de fixer le niveau de leurs moyens d’existence (au moins aussi longtemps qu’un communisme absolu ne rendrait pas ce niveau égal pour tous, si toutefois cette hypothèse n’est pas absurde) de telle manière qu’il soit assez élevé pour que les meilleurs des jeunes gens ne soient pas détournés des carrières scientifiques et cependant assez bas pour ne pas tenter ceux que l’appât seul du lucre déterminerait dans le choix d’une carrière.

Tout cela est forcément un peu vague et pourrait être précisé s’il était nécessaire ; l’essentiel serait de bien comprendre qu’il n’est pas légitime d’exiger individuellement de chacun un rendement égal à sa dépense ; il y a une question de génie, qui est mystérieuse, et aussi une question de chance qui ne l’est pas moins. Celui qui n’a pas de génie et que la chance ne sert point ne doit pas en être rendu responsable et, si pendant dix ou vingt ans, il s’est spécialisé dans une étude abstraite et est devenu impropre à une autre utilisation sociale que la poursuite de cette étude, il faut que la société qui l’a laissé s’engager dans cette direction, qui l’y a peut-être encouragé, prenne son parti de ce déficit dans son compte d’exploitation et s’en console par les bénéfices énormes qu’elle réalise sur le concurrent plus heureux qui aura découvert le vaccin de la rage ou la télégraphie sans fil. En définitive, c’est Pasteur