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LA SCIENCE DANS UNE SOCIÉTÉ SOCIALISTE


Quelle que soit l’opinion que l’on ait sur l’avenir immédiat de l’organisation sociale des grands peuples civilisés, il n’est pas interdit d’envisager l’hypothèse où, sous une forme ou une autre, cette organisation serait pénétrée par certaines des tendances dites socialistes. Sans nous attarder à en discuter le détail nous pouvons résumer ces tendances en disant que la société (ou l’État, si l’on veut) tend à refuser de plus en plus de fournir des moyens d’existence un peu larges à ceux qui ne font personnellement rien pour les mériter. Si l’on admet cette définition vague et peut-être optimiste de la société future et si l’on admet en outre que les dirigeants ne seront pas dépourvus d’intelligence, il semble que l’on ne doive avoir aucune inquiétude sur l’avenir de la science dans cette société. L’utilité de la science et des savants n’est-elle pas, en effet, devenue un article de foi pour les sociétés les plus modernes et la religion de la science ne tend-elle même pas à remplacer les anciennes croyances ? Du moment qu’il ne sera douteux pour personne que les savants font une œuvre utile, on n’hésitera certainement pas dans une société où la distribution des richesses serait rationnellement organisée, à leur donner les moyens de se livrer à leurs méditations et leurs recherches, pour le plus grand bien de tous.

Il est permis de ne pas partager complètement cet optimisme ; je voudrais indiquer brièvement la raison pour laquelle il me semble que l’on peut avoir des inquiétudes sur l’organisation de la science dans la société que nous appellerons socialiste, pour abréger le langage, sans attacher à cette épithète un sens plus précis que celui qui vient d’être rapidement indiqué. Je montrerai ensuite comment on peut essayer d’éviter ce danger, qui serait l’un des plus grands que puisse courir l’humanité, d’un arrêt dans le développement scientifique, en essayant d’éclairer le public sur les conditions réelles de la recherche scientifique.