Page:Borel - Champavert, 1833.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui a trempé ma jeunesse dans le fiel quand elle pouvait la faire si belle, si sublime ! C’est toi, Édura, c’est toi qui m’as aigri, qui as chassé la bonté de ma tête, la sensibilité de ma poitrine, qui m’as usé et blasé par la torture et l’envie. C’est toi qui es cause que j’ai tout haï, tu m’as perdu quand ma vie s’ouvrait si riche d’avenir ; c’est toi qui l’as empoisonnée ; et, si je me tue, c’est encore par toi ; c’est toi qui as mis dans mon sein le germe de la mort, la misère l’a fécondé.

Ô inconcevable passion ! amour, amour, qui t’expliquera ?… Édura ! ô mon Édura ! ne va pas croire après cela que je te hais. Je t’aime toujours aussi follement ; je frissonne encore à ton nom comme autrefois. Je t’aime, et c’est toi qui m’as tué, c’est toi qui m’as tourné vers le néant. Tu m’as fait tant de mal, et je t’aime tant ! et cependant tu n’es plus pour moi qu’une souvenance confuse ; les ans ont passé vite, et m’ont fait jeune homme ; mais toi, ils t’ont vieillie, ternie, fanée ; tu n’es plus un bouton d’or, tu es un saule creux qui penche. Les cavaliers ne te regardent plus ; tu n’as plus de cour, tu n’es plus reine. Si, alors, tu avais voulu cueillir mon