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une terre, qu’on suit une bourrique chargée, qu’on mange des choux, des haricots et du porc, et qu’on juche comme une poule à la tombée du jour, je croyais qu’on était bien heureux, bien délicatement heureux ! je croyais… mais, je ne crois plus…

Pourtant, si je devais rester plus long-temps parmi ou hormis les hommes, c’est ce que tu choisis, que je choisirais ; je me ferais rustre comme toi, mais plus sauvage encore, plus fauve ; j’irais manger du pain de châtaignes dans les montagnes du Vivarais ; j’irais me faire chasseur d’ours aux Pyrénées, charbonnier aux Ardennes, ou bûcheron aux Alpes. Mais, aujourd’hui, ce n’est plus assez ; à quoi bon ? quand j’userais ma vigueur à des travaux stupides, à manier la hache, la pioche ou la hie ; à quoi bon, quand je me ferais le cœur calleux comme les mains ? Ce n’est plus l’abrutissement qu’il me faut, c’est le néant ! Mais toi, tu ne veux plus du néant, tu veux vivre ; vis, je mourrai seul !

Or, voici pour le serment que tu m’avais fait et que tu trahis.

Et voici pour le mien que je parjure aussi.