Page:Borel - Œuvres complètes, II, 1922.djvu/232

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Il est jaloux, tyran, et veut alors qu’on l’aime,
Qu’on l’aime seul, entier, qu’on se vende soi-même
À lui seul, corps et âme ; ainsi qu’à Belzébut
Un sorcier vend sa vie ou la donne en tribut.
En sa cour, point de cœurs faibles et domestiques ;
Il ne faut à ses pieds que mignons fanatiques,
Sans peur, sans tempérance, et ne reculant pas
Devant les noirs affronts ni devant les trépas.
Si vous choisissez l’Art, repoussez loin le monde :
À l’Art tous nos pensers, point de commerce immonde ;
Car il se vêt de lin, et ses pieds argentés,
Quand on les traîne en ville, en reviennent crottés.

Ainsi, depuis long-temps par le rêve bercée,
Mon âme ressassait cette grande pensée,
Et je faisais par Dieu le plus beau jurement
D’être à l’Art pour jamais, d’être à lui seulement,
Quand soudain j’entendis la voix douce et plaintive
D’une femme, et le bruit d’une marche furtive.