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Un mont dont on connaît le pied, non le sommet ;
Une implacable loi, tout être s’y soumet ;
Abîme souterrain où notre empire cesse,
Où la raison s’égare et l’esprit se confond,
Dont l’écho ne répond que d’une voix railleuse
A toute question de notre âme orgueilleuse.
Messieurs, faites l’amour, mais ne l’expliquez pas ;
La science, messieurs, ne fait que des faux pas ;
Et qui sait ne sait rien ! — Votre psychologie
N’est, croyez-moi, messieurs, qu’une blanche magie
Qui vous enlève au loin comme un aérostat,
Pour du plus haut des airs vous rejeter à plat ;
Vous ne pouvez cuber l’âme ni sa puissance,
Ni condenser l’amour, pure et divine essence ;
Laissez vos alambics, vos loupes, vos compas :
Messieurs, faites l’amour, mais ne l’expliquez pas !

Chancelant et voûté sous le mal qui me grève,
Je côtoyais le fleuve et parcourais la grève ;
Au soleil printanier je réchauffais la fleur
De ma vie, effeuillée au vent de la douleur ;
Je secouais mon âme accroupie et froissée
Par ces hivers du cœur, — le doute, la pensée ; —
Je m’en allais rêveur, — qui marche sans cela ? —
Et mon esprit faisait les phrases que voilà.
Je m’en allais poussé par une ardeur native,
Une force indicible, une pente instinctive,
Saluer d’un baiser celle qui m’appartient,
Celle qui jusqu’à l’aube en ses bras me retient ;
Celle pour qui mon pas est plus doux qu’un théorbe,