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SUR L’AMOUR


Hélas ! qui nous dira ce que c’est que l’amour ?
Pour moi, faible héron aux serres de vautour,
Je me sens emporté dans le gouffre ou la nue,
Dans l’antre ténébreux ou sur la plage nue,
Je me sens expirer sous son bec assassin,
Qui m’a crevé les yeux ou labouré mon sein,
Et ne sais rien de plus ! — J’ai lu mille mémoires
Qui traitent de l’amour ; j’ai lu mille grimoires
Très doctes et très secs : je ne sais rien de plus
Qu’avant d’avoir veillé sur ces bouquins feuillus.
Au diable ces traités ! Que le diable les lise !
Au diable leur peinture et leur sotte analyse !
Analyser l’amour ?… Oh ! c’est par trop bouffon !
Messieurs les esprits fins, vous vous croyez au fond,
— Vous êtes à côté, vous jetez votre sonde :
Comme un brin de sarment elle flotte sur l’onde,
Puis vous argumentez, puis vous édifiez
Système sur système — et vous bêtifiez !…
L’amour est un secret du ciel insaisissable.
Un arcane fermé pour l’homme, infranchissable ;