Page:Bordat - L'Esprit continental. Les États-Unis contre l'Europe, 1943.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

résultat de court-circuiter le contrôle exercé par les actionnaires ordinaires. Il avait gaspillé l’argent qu’il se procurait ainsi dans de coûteuses opérations destinées à faire soutenir par certaines sociétés les cours défaillants de certaines autres. Il avait fourni à ses sociétés des gains en capitaux en leur conseillant de faire figurer à leur actif pour une valeur excessive les investissements qu’elles possédaient chez les autres. Quant aux gains en revenu, ils étaient obtenus en négligeant l’amortissement partout où c’était légalement possible, et en accumulant les « bénéfices » que les sociétés faisaient en trafiquant entre elles de leurs propres actions à des prix convenus. Owen Young lui-même, qui pourtant connaissait la question, avoua avoir éprouvé un « sentiment d’impuissance » lorsqu’il examina pour la première fois la situation du Groupe Insull. La subsistance du groupe dépendait évidemment d’un apport constant de capitaux frais par le public, apport provoqué par l’énormité des dividendes que l’hypercapitalisation du groupe exigeait, mais que ses opérations commerciales étaient incapables de fournir. La réputation de M. Insull ne pouvait attirer l’argent frais qu’en période de prospérité. »

Si l’on songe que le Groupe Insull n’était pas un des plus importants et que sa manière de pratiquer n’était pas une rare exception, on peut mesurer les répercussions du krach qui stoppa net de tels agissements. De fait, les titres cotés à la Bourse de New-York baissèrent en un mois de 32 milliards de dollars — 817 milliards de francs-papier 1926 — le cours des valeurs s’effondra de 89 % — quatre-vingt-neuf pour cent — entre septembre 1929 et juillet 1933, les transactions du Stock-Exchange ayant dans le même temps diminué de 60 % tandis que l’index boursier passait de 311,9 à 33,9 ; le chiffre des pertes nettes des sociétés anonymes atteignit 5.200 millions de dollars ; la valeur des échanges commerciaux tomba de 9.640 millions de dollars à 2.934 millions ; l’activité s’amenuisa de 64 % dans le Bâtiment, de 50 % dans les Transports, de 33 % dans l’Industrie, de 34 % à la Mine ; le chômage éprouva près de 13 millions d’ouvriers ; plus de 800.000 fermes hypothéquées furent l’objet de saisies judiciaires ; 10.000 banques furent mises en faillite : les prix de gros baissèrent de 40 %. La débâcle fut donc générale. Accablant tous les citoyens, provoquant des millions de cas tragiques, elle consacra le discrédit du système auquel le pays et ses dirigeants s’étaient follement abandonnés.

Telle était la situation lorsque Franklin Roosevelt, en 1933, accéda à la présidence. Sa chance exceptionnelle était d’y trouver un champ libre. « Le grand patronat était abattu, les ouvriers élevaient des revendications de plus en plus précises, mais n’étaient pas organisés. Et les élections avaient donné au président une majorité de sept millions de voix sur quarante millions de suffrages. Jamais depuis la guerre de Sécession, la situation n’avait été plus adéquate à un grand mouvement de réformes sociales. »[1].

C’est ainsi que le New Deal bénéficia immédiatement du pré-

— 9 —
  1. A. J. J. Baster