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L’AMÉRIQUE EN 1933

La guerre mondiale de 1914-18 avait provoqué aux États-Unis une période de prospérité inouïe.

De 1917 à 1920, le nombre des millionnaires — en dollars, valeur 5 francs-or — était passé de 16.000 à 20.000, tous enrichis par les fournitures aux armées ou par les spéculations consécutives. Mais c’est surtout de 1924 à 1929 que se manifesta le boom le plus formidable de tous les temps. Tandis que les pays appauvris et vidés par la guerre s’adressaient aux États-Unis pour en obtenir à la fois des marchandises et des crédits, le marché intérieur américain se développait extraordinairement. Tout le monde achetait, achetait, sans réflexion, sans calcul, sans raisons ; les industries perfectionnaient leur outillage pour un rendement illimité ; les fermiers renouvelaient l’équipement de leurs exploitations ; les particuliers ne se refusaient rien. L’argent était si bon marché !

Cet élan vers l’achat, cette folie dépensière participaient naturellement de l’ambiance de richesse qui enveloppait le pays entier, mais aussi des efforts conjugués du gouvernement et des banques pour grossir le pouvoir d’achat de toutes les classes de citoyens. Les 50.000 banques des États-Unis, qui regorgeaient d’or, multiplièrent les offres de crédit tant à la production qu’à la consommation, tandis que l’État lui-même encourageait cette inflation et, poussé par les industriels soucieux de « se créer des acheteurs  », favorisait la hausse générale des salaires. La spéculation s’en mêla, et aussi l’orgueil national d’aligner un niveau de vie, un niveau de salaires et un niveau de prix plus élevés que nulle part ailleurs. Si bien que, tout en gagnant beaucoup d’argent, chacun finit, à force de prodigalités, par s’endetter.

Un moment arriva où les importateurs d’Europe, rééquipés, s’étant remis à produire eux-mêmes, cessèrent d’acheter, où l’accumulation des stocks obligea les usines à ralentir, à congédier des ouvriers, où le « gel » des crédits extérieurs — atteignant au change de l’époque 350 milliards de francs — et le non-paiement des intérêts de leurs prêts contraignirent les banquiers à fermer leurs guichets : au boom succéda le krach.

L’histoire rocambolesque d’un consortium financier connu sous le nom de Groupe Insull illustrera l’inextricable désarroi qui s’ensuivit. « M. Insull, écrit Baster, avait affaibli son groupe en payant des dividendes sur le capital ; il avait anéanti la substance d’un grand nombre de ses compagnies en faisant aux banques des emprunts gagés sur les actions privilégiées, ce qui avait eu pour

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