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est intolérant ; le second, a dit un de ses compatriotes, « est un phonographe sur lequel on peut jouer tous les discours », il admet toutes les controverses, il plaide, prend des avis, négocie, fait de la procédure, ménage l’opposition, bref, requiert mais ne contraint pas.

Si tous deux sont des chefs élus, Hitler l’est d’un parti unique, nationalement, sans marchandages ; Roosevelt est l’élu politique d’une majorité instable, doit la soigner, et dépend des coalitions qui l’ont soutenu : l’un est enchaîné, l’autre est libre.

Tout cela explique comment, après avoir promis de « traiter le problème comme on fait face à une guerre », — ce que fit réellement Hitler sans l’avoir dit, — le président Roosevelt a pris des initiatives dont le moins qu’on puisse dire, avec A.-J. Baster[1], est qu’elles ne furent « pas reliées les unes aux autres par un lien logique très strict. » « Reflets de la réceptivité mentale du président », ces initiatives parfois contradictoires s’épanouirent dans un plan inégalement heureux, thérapeutique hâtive dont les inspirateurs eux-mêmes attendaient autant de surprises que de résultats. N’est-ce pas l’un d’eux, le professeur Berle, qui, parlant du New Deal naissant, l’appréciait en ces termes proprement effarants : « Nous voilà partis pour une expérience formidable. Nous savons comment nous y entrons, mais nous ne savons pas comment nous en sortirons. »

Quel contraste avec les actes de foi d’Hitler !

Tout cela explique aussi la manière tellement différente dont, presque au même moment, les deux chefs d’État composèrent leur gouvernement et leurs conseils. Alors que Hitler s’entourait d’hommes d’action, rompus à sa doctrine, animés du même enthousiasme, sélectionnés et éprouvés de longue date, Roosevelt formait un ministère hétérogène de professeurs, d’avocats, de juristes et de financiers choisis selon l’usage parlementaire d’un « dosage » politique, économique, même religieux, et s’adjoignait sous le nom de Brain Trust (Trust de l’intelligence) une sorte de conseil privé en majorité composé d’intellectuels et dominé par un banquier d’affaires, le juif Baruch. D’un côté, en Allemagne, des éléments actifs, prêts à exécuter incontinent une tâche déjà fixée dans ses moindres détails ; de l’autre, en Amérique, deux groupes disparates mandatés pour délibérer sur la mise au point d’un programme seulement esquissé.

Cette opposition de deux hommes et de deux méthodes se retrouvera fatalement dans celle des résultats acquis, de 1933 à 1939, à leurs pays.

  1. Le crépuscule du capitalisme américain, Librairie de Médicis, 1939.
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