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unité morale, sans tradition, sans âme, plus cosmopolite que nationale. Entre ces peuples, aucune communauté d’amour, aucun lien spirituel, aucune attache sentimentale n’existant, ils ont remplacé le patriotisme par l’orgueil du greatest in the world, la culture par le culte du record, le raisonnement par le slogan, et se sont, faute de mieux, constitués en société d’exploitation. Dès lors a commencé l’« ère diabolique » au cours de laquelle, à la différence de nos vieux pays, la force déterminante de l’action fut, non pas l’intérêt de la nation mais celui des particuliers et, ce qui est plus grave, de quelques-uns seulement de ces particuliers devenus de grands capitalistes.

Des traditions anglo-saxonnes ne subsista dès lors que le côté mercantile, la soif d’enrichissement.

On sait quels crimes de lèse-humanité ont commis, au cours du xixe siècle, les Anglais, sous l’empire de cet état d’esprit. C’est un lieu commun que de rappeler la guerre de l’opium et son évocation suffirait à convaincre d’hypocrisie ces prédicants habiles à couvrir d’un verset de la Bible leurs procédés les plus sauvages. Missionnaires de la civilisation ces hommes qui, vers 1830, s’acharnèrent, pour faire place à la vente de leurs cotton goods, à ruiner, à raser toute l’industrie textile hindoue ? Allons donc ! « La misère actuelle rapportait au Colonial Office le gouverneur-général de l’époque, ne trouve aucun parallèle dans l’histoire du commerce : les os des tisseurs de coton blanchissent les plaines de l’Inde. »

Les Américains se rendent-ils compte parce qu’ils veulent, eux aussi, pour faire place à la vente de leurs goods, ruiner les industries d’Europe, qu’aujourd’hui blanchissent sur notre sol les os de milliers d’Allemands, de Belges, de Français, de Hollandais, d’Italiens, de Norvégiens, de Polonais, etc., sans parler des Russes et des Anglais ? Leur attitude est d’autant plus odieuse que, comme celle des marchands britanniques, elle n’a pour origine et pour but ni le progrès ni le bonheur du monde mais le vil profit de quelques hommes.

« Sous aucun prétexte, avait solennellement déclaré le président Roosevelt, les intérêts matériels ne doivent prendre le dessus sur les libertés humaines. » Les masses américaines — c’était en 1933 — l’ont acclamé comme leur sauveur. Il les a trompées dans la même mesure qu’il nous a déçus.

Fondé sur les déclarations les plus généreuses, sur les principes empreints du meilleur idéal, son New Deal n’a pas plus que lui-même, tenu ce qu’il avait promis. Il s’est révélé incapable de procurer du travail à des millions de chômeurs désireux de travailler et qualifiés. Ses réformes ont été partielles, tâtonnantes, imprécises, minimisées par l’influence toujours prépondérante des monopoles et des coalitions contre lesquels il prétendait lutter. Il a finalement abouti à l’exploitation du consommateur moyen par les grands producteurs et à leur unique avantage. Comme l’a montré A.-J. Baster, il en est résulté « non pas une situation bien organisée mais un système favorable aux consortiums existants : ce n’était plus la concurrence loyale mais le monopole loyal ». Exac-

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