Page:Bordat - L'Esprit continental. Les États-Unis contre l'Europe, 1943.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mis, non plus de la seule Allemagne mais de l’Europe ? que leur entreprise pour sauver du « nazisme » les nations de notre continent n’a jamais été qu’un prétexte ; que, l’événement le démontre, leur intervention pour faire naître et prolonger la guerre n’a jamais eu qu’un but : désagréger l’Europe.

Raisonnons, en effet. S’il nous avait été à la rigueur permis de croire à la sincérité des États-Unis lorsqu’ils prétendaient protéger l’Europe occidentale d’Hitler, comment pourrions-nous persister dans ce sentiment aujourd’hui que les mêmes États-Unis appuient, contre cette même Europe, Staline ?

Qui d’entre nous, même parmi les plus enragé ennemis de l’Allemagne nationale-socialiste, ne préférerait pourtant, au pis aller, la domination de Hitler à la dictature de Staline ? Qui peut un seul instant douter qu’une Russie victorieuse de l’Allemagne bolchéviserait l’Europe entière et nous réduirait tous, propriétaires et prolétaires, à l’état d’esclaves ?

Les dirigeants américains le savent comme nous. Le sachant, ils le souhaitent. Ouvrons les yeux. Ils sont jugés.

N’est-il pas surprenant que Roosevelt et son trust de cerveaux aient oublié le rôle joué, dans la crise de 1929, sur le dérèglement des marchés de Winnipeg et de Chicago par les blés russes vendus à découvert ? Ont-ils pu contester que la baisse due à ces ventes de l’U. R. S. S. obligeant les haussiers américains à des ventes massives de valeurs pour consolider leurs positions, n’a pas été sans influence sur le cataclysme bancaire ? N’ont-ils pas réfléchi, par voie de conséquence, aux bouleversements qu’une Europe russifiée apporterait à l’économie mondiale, et singulièrement à la leur ?

La versatilité du président Roosevelt prend ici son plein épanouissement. Nous avons lu et relu ses harangues, ses sermons sur la défense des libertés individuelles, sur la morale chrétienne, sur le respect des traditions sociales et familiales, nous l’entendons encore stigmatiser les procédés brutaux et sanguinaires des maîtres de la Russie rouge. Et voici, parce que Moscou prend les armes contre l’Allemagne, qu’il se déclare l’allié de Moscou ! Quel méprisable revirement ! Quelle morale que celle au nom de laquelle il est permis de s’associer à un assassin parce qu’il est l’ennemi de votre ennemi !

Dans cette manière d’agir se reflète le défaut de sens moral d’un peuple entièrement désaxé. La pure figure de Washington n’y reconnaîtrait pas les siens. Nous avons commis une grave erreur, nous Européens, nous Français en particulier, en tenant les Américains du xxe siècle pour les héritiers du grand homme dont Chateaubriand a pu dire qu’il avait « une vertu dans le regard » : ils ont été depuis longtemps débordés par l’immigration déréglée qui a fait des États-Unis une mosaïque de peuples sans

— 28 —