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Au surplus, les deux Amériques semblent moins réunies que jamais. Ça été de tout temps la grande peur des dirigeants américains que de voir l’Amérique latine échapper à leur suprême contrôle. Dès 1826, sur leur initiative, avait siégé la première conférence panaméricaine censément destinée à joindre les deux Amériques dans un même sentiment de défense de leur indépendance continentale et de leurs communes aspirations fondées sur le principe démocratique et la déclaration des droits de l’homme, mais dont l’objet réel était, dès cette époque, d’affirmer la suprématie économique et politique des États-Unis, « principale puissance du Nouveau Monde ». Les États-Unis, dit ensuite plus franchement le président Cleveland, sont pratiquement les souverains du continent, et leur volonté y fait loi, et chacun se souvient du big stick de Théodore Roosevelt, de la dollar policy de Coolidge, ainsi que du « cordon sanitaire » proposé en 1937 par l’actuel président Franklin Roosevelt pour préserver ses « frères latins » de la propagande totalitaire.

Contre ces tentatives de subordination, l’Amérique latine a réagi, spécialement depuis la guerre hispano-américaine à l’occasion de laquelle elle ne craignit pas d’assurer la madre patria de son fidèle attachement spirituel.

En fait, les deux Amériques n’« accrochent » pas. Si la géographie les rapproche, la race, la religion, le langage, la culture et jusqu’à l’histoire les séparent, et leurs économies, qui sont loin d’en être au même stade, ont un caractère différent. Les États-Unis forment un ensemble harmonieux ; l’Amérique du Sud, un concert quelque peu bohême. Ici, la fantaisie latine ; là le maintien anglo-saxon. Au nord le mépris du « vieux monde » et de ses traditions ; au sud, leur culte.

Bien au fond, ce qui divise surtout les deux groupes voisins, c’est l’Europe, de laquelle l’un s’est affranchi tandis que l’autre y reste d’instinct attaché.

L’Europe ! toujours l’Europe, dont la puissance de rayonnement est le cauchemar des États-Unis, la rivale supérieure qui paralyse leurs appétits jusque dans leur sphère, l’Europe dont l’abaissement leur aurait laissé le champ libre, mais que son élévation rendra plus que jamais attractive, à leurs dépens.

Ce n’est pas seulement notre vieux continent rajeuni qui, de par la victoire finale allemande, échappera à l’emprise de la finance américaine, mais aussi le Pacifique et jusqu’aux voisins immédiats que la République étoilée considérait comme ses vassaux.


LE CHOC DE DEUX MONDES

Ces perspectives hantent la Maison Blanche et obsèdent son Brain Trust. D’où l’acharnement avec lequel Roosevelt s’est engagé

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