Page:Bordat - L'Esprit continental. Les États-Unis contre l'Europe, 1943.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

aussi mécaniquement, d’immenses espaces et les exploitent en affairistes bien plus qu’en bons pères de famille ? La plupart ne vivent pas sur leurs terres. Beaucoup d’entre eux en sont encore au stade de la culture extensive, à l’exemple des premiers colons qui, devant l’immensité des espaces libres, agissaient à l’instar des nomades, ne se donnaient pas la peine de « cultiver » mais « épuisaient » telle partie de terroir pour passer ensuite à une autre. Avec cette circonstance aggravante qu’aujourd’hui les domaines sont délimités, les exploitations sédentaires, et que les ressources gaspillées ne peuvent plus être retrouvées. Il en est de même pour les forêts qui s’étendaient, il y a 150 ans, sur 330 millions d’hectares et, follement abattues, saccagées ou brûlées, n’en couvrent plus que 120 millions.

Pour sauver son agriculture éprouvée par la « prospérité » autant que par la crise, l’Américain devrait s’astreindre à épargner la terre, à s’y attacher, à l’aimer. On peut douter qu’il y parvienne tant il est porté, en toutes choses, à viser le bénéfice immédiat sans le moindre souci de l’avenir.

L’Européen, par contre, a la tradition paysanne dans le sang. Il a le respect de la terre, il la soigne, il ne la violente pas. Il est infiniment plus qualifié que l’Américain pour la travailler méthodiquement et, si l’on peut dire, humainement.

Colossal avantage pour l’Europe, car « ce qui compte dans un peuple, c’est avant tout le paysan : la terre a plus de prix que l’outillage industriel, aussi perfectionné soit-il »[1].

Mais l’Europe possède-t-elle des ressources naturelles comparables à celles de l’Amérique ? Possède-t-elle aussi les moyens matériels indispensables à un essor qui, pour lui être profitable, doit se réaliser dans une indépendance économique complète ?

Sans doute la valeur intrinsèque de leur fonds fait-elle des États-Unis la plus riche des nations du monde et la mieux pourvue : ils ont incontestablement plus de blé, plus d’orge, plus de maïs, plus de porcs, plus de houille, plus de pétrole, plus de fer, plus de cuivre, plus de plomb, plus de zinc, plus de matières colorantes, plus de sulfure, plus de coton qu’aucun autre pays des deux hémisphères. Cependant si on leur oppose non plus isolément la France, l’Allemagne ou la Russie mais l’Europe et, a fortiori, l’Europe augmentée de l’Afrique, leur supériorité s’efface en bien des cas.

Les États-Unis produisent bon an mal an 230 millions de quintaux de blé, l’Europe 650 millions, l’Afrique 30 millions. D’où vient que l’Europe, pays du blé comme l’Asie est le pays du riz, en ait vu non seulement le marché mondial mais son propre marché soumis au contrôle américain ? D’où vient que la perspective d’une bonne récolte au delà des mers faisait hier encore baisser le prix

  1. Hitler.
— 20 —