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un genre d’existence dans lequel ce que nous considérerions comme superfluités joue le rôle de nécessités. En même temps, la capitainerie d’industrie, la haute finance, l’État lui-même avaient pris l’habitude de traiter le monde de Turc à Maure.

Mais vint la crise, et l’Américain se rendit compte de ce qu’il avait perdu en gâtant l’occasion « historiquement inouïe » qui lui avait été offerte en 1919 « de prendre la conduite du monde »[1]. Ce que la guerre de 1914 leur avait apporté « sur l’assiette d’argent proverbiale »[1], une autre guerre ne pourrait-elle le leur fournir ? L’idée germa, se précisa, et les États-Unis commencèrent d’attiser le conflit.

Aujourd’hui qu’il a mal tourné, ce n’est plus de leur domination qu’il s’agit mais de leur sauvegarde. Ils considèrent avec effroi la valeur du nouveau bloc Europe qui, demain, s’opposera au bloc américain.


VALEUR RESPECTIVE DES DEUX BLOCS

La superficie des États-Unis, moins l’Alaska, est de 7.800.000 kilomètres carrés ; celle de l’Europe, y compris la Russie, de 10 millions. La population de l’Europe est de 490 millions d’âmes, 48 au kilomètre carré ; celle des États-Unis de 120 millions, 15 au kilomètre carré.

Le marché intérieur européen est donc plus important, en espace et en peuplement, que le marché américain.

S’il est resté jusqu’à ce jour moins actif, et moins exploité, c’est en raison de sa division en 27 compartiments étanches, en organismes économiques discordants, sans libres communications et sans entente. Subordonnés à la politique égoïste de chaque État, la production et le commerce s’y heurtaient aux parois de cadres étriqués battus par des courants contraires dans la concurrence effrénée des prix et l’insécurité des prévisions. Les États-Unis, au contraire, travaillent solidairement sur un vaste espace libre, où circulent sans entraves les échanges. Le rendement respectif actuel des deux continents est dès lors aussi disproportionné que celui d’une exploitation d’un seul tenant et d’une propriété morcelée en parcelles.

Pourtant l’Europe contemporaine, en raison même du retard apporté à son équipement et du niveau d’existence arriéré d’une partie de ses peuples, offre à la production des perspectives d’autant plus larges. Ses industries ont devant elles des possibilités supérieures à celles qu’ont derrière elles les industries américaines. Et si l’on considère qu’elles devront en même temps répondre aux demandes croissantes de 140 millions d’Africains, on peut conclure

  1. a et b H.-R. Luce, dans la revue Life.
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