Page:Bordat - L'Esprit continental. Les États-Unis contre l'Europe, 1943.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’intelligence humaine ne s’est pas accrue en même temps que la complexité des problèmes à résoudre. »

À cette intelligence échappent les grandeurs spirituelles qui font l’orgueil des sociétés européennes. L’orgueil américain, dans lequel entre une certaine dose de mépris pour les « vieux pays », ne se fonde que sur les grandeurs matérielles. Peu importe, là-bas, la valeur d’un savant si son laboratoire est le mieux aménagé du monde ; foin de la beauté d’un édifice pourvu qu’il soit le plus élevé.

La fierté suprême des Américains est de se dire que s’ils ne représentent qu’environ 6 % de la population du monde, ils n’en possèdent pas moins 81 % des automobiles et 61 % des téléphones, qu’ils n’en consomment pas moins 75 % du pétrole et du caoutchouc, qu’ils vivent de telle manière que le luxe européen est pour eux la monnaie courante, et qu’ils sont en mesure de satisfaire, au delà de leurs besoins, leurs caprices.

Leur patriotisme lui-même n’a rien de sentimental. Leur drapeau est plutôt une enseigne. S’ils sont glorieux du nombre de ses étoiles, c’est parce que chacune d’elles symbolise une valeur productive. La grande pensée commune de ces hommes sortie du melting pot (creuset) où se sont mêlés sans se confondre tant d’éléments dépareillés, c’est d’appartenir au pays le plus riche du monde.

Ce privilège de la richesse, ils le doivent certainement à leur application, mais aussi à la chance qui leur a réparti un immense territoire vierge et sûr, pourvu de matières premières tellement surabondantes qu’ils n’ont cessé de les gaspiller. L’immensité de ce territoire d’un seul tenant, qui possède toutes les variétés de climats, des terroirs aptes à toutes les cultures et d’énormes ressources minières, leur a permis, dès l’apparition du machinisme, de créer à la source même des matières une industrie assurée d’importants débouchés sur un marché libre d’entraves. Les besoins d’une population fraîchement immigrée portant presque partout sur les mêmes articles ont immédiatement entraîné la standardisation des demandes, à laquelle répondit la standardisation de la production, Fabriquant dès lors en grande série des objets de vente certaines, les industriels furent amenés à porter à l’extrême l’utilisation de la machine et, par la réduction parallèle du nombre de leurs ouvriers, résolurent le problème d’accroître les salaires en diminuant le prix de revient. Partie de l’indice 100 en 1900, la dépense de force motrice appliquée à l’industrie atteignit en 1914 l’indice 220, l’indice 278 en 1919, l’indice 336 en 1923 ; la production s’élevait dans le même temps aux indices 156, 195 et 225 ; la main-d’œuvre humaine, aux indices nettement inférieurs 134, 161 et 190.

La politique des hauts salaires qui procédait non d’une pensée sociale, mais d’un système économique visant à augmenter, dans l’intérêt du producteur, les facultés d’achat des masses, se généralisa bientôt. Les travailleurs américains se firent alors les plus belles journées du monde : un maçon, à New-York, était payé jusqu’à 17 dollars, près de 400 francs ; un simple manœuvre, de 75 à 130 francs.

— 15 —