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et chrétienne, seront substituées dans le monde des influences subversives.

Le président Roosevelt se devait d’ajouter à ces terrifiantes anticipations un dixième paragraphe ; il n’y a pas manqué. Dans une déclaration de mai 1941, il a fait entrer en ligne de compte l’invasion de l’Amérique par l’Allemagne.

Ces divagations donnent la mesure du dérèglement cérébral provoqué dans les milieux d’affaires américains par l’idée d’une victoire allemande. Elles n’en ont pas moins impressionné cette partie de l’opinion publique composée de Yankees ignorants qui « ne connaissent rien et savent tout sur toutes choses, ouvrent les yeux sans voir et pensent sans réfléchir »[1]. Elles ont incité la Maison Blanche à une série de mesures soi-disant préventives parfaitement irritantes et déraisonnables à l’égard non seulement des puissances de l’Axe, mais de la majeure partie des États de l’Europe et en particulier de la France. Elles ont maladroitement illustré ses prétentions impérialistes. Elles ont fondé l’antagonisme de continent à continent et obtenu ce beau résultat que si, demain, l’Amérique entre en guerre, elle aura contre elle l’Europe entière, unie dans la conscience du danger qui la menace toute.

Ainsi la politique américaine aura fait pour nous ouvrir les yeux bien plus que les propagandistes de l’Europe organisée. Elle nous aura montré que nous tous, États continentaux, avons bien plus à craindre de Roosevelt que d’Hitler et qu’à tout prendre la protection de ce dernier comportera moins de périls que la mise en coupe réglée de l’autre.

Mais le problème est posé : qui des deux continents sera le maître ?


QUI SERA LE MAÎTRE ?

La question n’a pas le même aspect selon qu’on l’envisage du point de vue nord-américain ou du point de vue européen. Les États-Unis, en effet, veulent être les maîtres du monde, tandis que les États d’Europe ne veulent qu’êtres maîtres chez eux. Cette différence de conception résulte d’un profond écart entre les valeurs respectives morales et matérielles des deux pays et leur échafaudage économique.

L’Europe est un composé de nations qui, en dépit de leurs caractères distincts, possèdent une civilisation, un idéal, on pourrait dire une âme, communs. À l’idée de nationalité se superpose dans l’entendement de ses peuples, la conscience d’une certaine unité morale et d’une homogénéité d’aspirations. Ils ne sont divisés que par les conflits d’intérêts.

Les États-Unis, au contraire, ont des intérêts identiques mais,


  1. Maurice Larrouy : La Caravane de l’Atlantique.
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