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à se reprocher, et l’imprudent acheteur à livrer doit payer les pots cassés. Voilà tout le mystère. De cette manière, les deux maisons font dix fois plus d’affaires que directement avec la filature, dont on fait très-peu de cas aujourd’hui, bien qu’on spécule sur et avec ses ordres donnés (voyez pièce justificative no 2).

Rien de plus facile que de se rattraper sur le classement ; les usages savamment combinés de Liverpool et du Havre s’y prêtent admirablement. À Liverpool les cotons à livrer se vendent sur la base de Middling ou Low-Middling arbitrable en-dessous et en-dessus. Mais, comme l’arbitrage se fait par les courtiers de place, qui ne connaissent point le filateur-acheteur et qui tiennent à rester en bons termes avec le vendeur et le commissionnaire anglais, ces courtiers, sachant ménager leurs intérêts, font à peu près ce que désirent le vendeur et le commissionnaire de Liverpool.

Au Havre c’est encore pis. On y vend à livrer, qualité telle quelle, sur classement d’origine désigné, et lorsque l’acheteur-filateur trouve, à sa grande surprise, que le classement ne correspond nullement aux conditions du marché, il n’a aucun recours ni contre le vendeur, ni contre son commissionnaire. C’est presque une duperie organisée, moins le coupable. Voici ce qui est arrivé dernièrement à un de mes amis. Il a acheté à livrer 50 balles Low-Middling Savannah à fr. 136-50, qui, à l’arrivée du navire, ressortaient à peine Strict good Ordinary. Mon ami n’a jamais pu obtenir la production de la facture originale constatant la désignation Low-Middling. Sous prétexte que les usages de la place s’y opposent, on a, malgré la baisse, repris les cotons plutôt que d’avouer une supercherie. Vous voyez d’ici que, pour bâcler les affaires le plus tôt possible, tous ces messieurs sont solidaires les uns des autres, aux dépens du consommateur. Voilà pourquoi les achats à livrer ont donné, cette année, de la perte plutôt que du bénéfice, en dépit de la hausse préconisée de commun accord, et en dépit de la marge qu’on nous présentait très-éloquemment, au moment de l’achat, sur le disponible. Et voilà aussi pourquoi on a réussi à maintenir les prix plus élevés que ne comportent une forte récolte en Amérique et une consommation inférieure à celle de l’an passé.